Le courant réformateur emmené par le président Mohammad Khatami aura vécu. Après avoir soulevé un immense espoir en Iran, surtout auprès des jeunes et des femmes pour lesquels le père des réformes incarnait la démocratie à l'intérieur et l'ouverture sur l'extérieur, Khatami et ses partisans abdiquent devant le puissant courant conservateur après deux mandats successifs. Les chances de ce courant à l'élection présidentielle qui se déroule aujourd'hui en Iran apparaissent bien minces pour ne pas dire nulles. Le seul candidat réformateur en lice Mostafa Moin a eu toutes les difficultés que l'on imagine pour faire avaliser sa candidature par la commission électorale. Il n'a dû son salut qu'à une intervention du guide spirituel de la Révolution iranienne Ali Khamenei lequel, par ce geste, a voulu donner un gage que l'élection présidentielle est ouverte à toutes les sensibilités. Mais personne n'est dupe. La parenthèse des réformateurs apparaît bel et bien fermée. La présence des réformateurs dans ce scrutin est toute symbolique face à l'aéropage des candidats engagés dans la course où les conservateurs sont représentés en force. L'ancien président de la République Ali Akbar Hachemi Rafsandjani qui avait occupé plusieurs postes depuis son départ de la présidence de la République, à la tête du Parlement puis en tant que président du Conseil de discernement, une instance d'arbitrage entre les institutions du pays revient à l'avant-scène en se lançant, toutes voiles dehors, dans la course électorale. A partir des institutions qu'il a eu à diriger, il a beaucoup contribué à l'affaiblissement de Khatami et de son courant en s'appuyant sur une justice toute acquise au courant conservateur. La chasse aux réformateurs, lancée par la justice ciblant des intellectuels et des journalistes, aura été menée au pas de charge par les conservateurs pour saper les fondements même de ce courant qui a failli échapper aux laboratoires enfantant ce système d'auto-régulation du régime en place. A 70 ans, Rafsandjani, un des piliers du régime, est présenté comme le candidat le mieux placé pour succéder à Khatami. Conservateur pur et dur, n'ayant pas bonne presse auprès des jeunes et des femmes, il a placé sa campagne électorale sous le signe de la séduction de cette partie importante de l'électorat (les moins de 30 ans représentent plus de 70% de la population) attiré par le discours et le programme des réformateurs avant de déchanter devant les promesses non tenues par Khatami. Il n'hésita pas à se faire violence en acceptant d'ouvrir avec les jeunes des débats télévisés sur des sujets tabous entre tous comme le sexe ou la mode allant jusqu'à confesser avoir fait « des choses dans sa jeunesse qu'il n'ose toujours pas avouer ». Parmi les autres candidatures du camp conservateur susceptibles de réaliser des scores qui pourraient rendre la perspective d'un second tour plus que probable, on peut citer le président du Parlement iranien Mehdi Kherroubi ou encore le général Qailbaf, ancien chef de la police, 44 ans, diplômé de géopolitique. Le nom de ce haut responsable des services de sécurité est associé à la répression policière qui s'était abattue sur les étudiants en 1999. Réussira-t-il à effacer des esprits des jeunes ce passé peu glorieux qui lui colle à la peau ? Un autre ancien responsable des forces spéciales des Gardiens de la révolution, le radical Ahmadinejad, cherche également à se recycler dans la politique en briguant le mandat présidentiel après avoir dirigé la municipalité de Téhéran. Les lobbies qui rythment la vie politique et institutionnelle iranienne se sont mis en branle comme à chaque échéance électorale pour peser sur l'issue de ce scrutin. Le poids des lobbies Le poids des bazaris (commerçants de l'économie informelle ) qui avait paralysé le secteur de la distribution par des mouvements de grève ayant contribué à la chute du régime du Shah et à l'avénement de la République islamique s'est considérablement réduit au cours de ces dernières années. La préférence de ces réseaux, très courtisés par les candidats dans leur quête de financement de leur campagne électorale, va vers Akbar Hachemi Rafsandjani qui représente pour eux la meilleure garantie pour la perpétuation du système de la rente et de l'économie de bazar. Rafsandjani est sur tous les fronts où se joue et se gagne l'élection présidentielle en Iran. Il ne se contente pas uniquement du soutien des bazaris - il sait qu'il n'est pas suffisant pour financer sa campagne et faire la différence avec ses adversaires. Le soutien précieux qu'il vient de recevoir, à la veille du scrutin, des hauts responsables des secteurs stratégiques du pétrole et du nucléaire vaut, pour les analystes, un plébiscite populaire avant l'heure tant le pays vit au rythme de ces deux activités clés qui font la force économique et géostratégique de l'Iran. Si l'issue du scrutin ne fait pas de doute avec le retour plus que certain des conservateurs - l'enjeu étant une question de degré et non pas de nature entre ultras et modérés de ce courant qui s'affronteront ou s'allieront en cas de second tour-, il reste que la grande inconnue de ce scrutin est le taux de participation. Les attentats, qui ont secoué l'Iran à quelques jours du scrutin, ne manqueront pas d'avoir de lourdes conséquences sur la participation électorale. Le régime en place a besoin d'une forte mobilisation de l'électorat pour crédibiliser ce scrutin et répondre au pessimisme exprimé par les Américains qui parient sur une large désaffection de ce scrutin par les Iraniens. Les autorités iraniennes ont tout de suite désigné les commanditaires de ces attentats sanglants en pointant un doigt accusateur vers les moudjahidine du peuple, une organisation de l'opposition iranienne basée en Irak, des baâthistes partisans de Saddam Hussein et des groupes sécessionnistes arabes tout en y voyant, derrière, la main des Américains. Le nouveau président iranien qui sera issu, selon toute logique, du camp conservateur ne pourra pas tourner le dos aux attentes de la population iranienne en matière de liberté et d'ouverture démocratique et d'une manière plus globale dans la conduite des réformes engagées dans le pays sous le règne de Khatami. L'héritage démocratique laissé par ce dernier constitue un smig démocratique sur lequel les nouvelles autorités iraniennes ne peuvent pas revenir au risque de plonger le pays dans une ère d'instabilité politique et sociale.