Il est des amoureux du beau qui, sans s'en rendre compte en deviennent des militants. Madame Atika Fouzia Yahou est de cette trempe. Peut-on qualifier autrement cette femme qui, en pleine période de terrorisme que connaissait l'Algérie au milieu des années 90, au moment où l'artiste était complètement marginalisé, annihilé, a décidé d'oeuvrer en faveur de l'art. Nous sommes en 1995. Mme Yahou qui ne cache pas son «faible pour l'art» ira jusqu'à lui réserver un espace dans sa demeure sise à Birkhadem, en ouvrant une galerie d'art qu'elle baptisera: Galerie djenane el fen. Une partie se trouvant à l'intérieur de la maison et l'autre dans le jardin où les tableaux des exposants se fondent merveilleusement bien dans ce décor enchanteur. Un espace de rencontre et d'échange culturel, à la fois amical et convivial pour des gens issus d'horizons divers. Au regard d'un «manque flagrant en infrastructures permettant d'accueillir les travaux de nouveaux artistes, je décide de m'y consacrer en leur offrant un espace et de les aider à les faire connaître en lançant les plus connus, sans exclure pour autant les débutants». Avec cette volonté farouche de se lancer des défis, c'est ainsi que l'idée a germé dans l'esprit de Mme Yahou. Une folle idée, en outre, poussée par cette joie indescriptible de partager avec les autres «un peu de beauté dans ce monde de brutes» qui nous entoure. Que d'artistes se sont fait connaître grâce à elle en «transitant» par sa charmante galerie d'art, à une époque où toute manifestation culturelle était bannie, où tout allait très mal. Mme Yahou, elle, aura cette ingénieuse et courageuse pensée de réagir positivement et activement dans la perspective constructive de toujours avancer et de ne pas baisser les bras. A ces artistes «qui faisaient quasiment du porte-à-porte», peintres, sculpteurs... elle leur offrit la possibilité de continuer à évoluer et à toujours s'exprimer... avec art. Etonnés que nous étions par un tel élan de générosité, nous avons tenté de sonder et de comprendre le pourquoi de cette volonté à vouloir aider à tout prix les artistes à s'en sortir. «Vous-même, êtes-vous artiste-peintre?», lui avons-nous demandé. A cela, elle nous répond, qu'elle n'est pas artiste-peintre, «j'admire tous ceux qui ont du talent et réussissent à l'exprimer dans le domaine artistique». Chez elle où est aménagée cette galerie d'art, le premier artiste à l'avoir inaugurée est «quelqu'un qui n'avait jamais exposé auparavant». Il s'agit de Mohamed Tahar Larba qui est aujourd'hui connu du milieu artistique. «J'ai vite compris qu'il avait du talent» fait-elle remarquer. «Mon but était vraiment de le faire connaître ainsi que Mohamed Louaïl, un homme très timide, mais qui a énormément de talent. Il m'a fait un honneur lorsqu'il a accepté d'exposer ses gravures chez moi». De ces artistes célèbres, plus connus qui ont exposé chez elle, on peut citer: Moncef Guita, l'artiste attachante Baya qui lui a confié ses tableaux la veille même de sa mort, mais aussi Hssissen, Bourdine, Valentina Halouani, Youcef Hafid, Farid Benyaa qui possède actuellement une galerie d'art à Bir-Mourad Raïs... Hormis ces gens-là, Mme Yahou a toujours entrepris de lancer de nouveaux talents en les mêlant à chaque exposition collective aux autres artistes-peintres déjà connus afin de les encourager à persévérer dans cette voie. Parmi eux, Abbas Torki, l'artiste peintre Minouna Mouhoub, une handicapée moteur, un groupe d'étudiants des Beaux-Arts (Bounoua Hamza, Khaled, Kahal Yacine et Dennou Samir). Outre l'organisation d'expos vernissage dont elle s'occupe, Mme Yahou aime décorer sa maison en fabriquant des bouquets à l'aide de branches ou de plantes qu'elle trouve dans son jardin. Elle est de surcroît artiste à sa manière. La musique est un nouveau chapitre auquel elle s'est consacrée récemment. L'été dernier, elle offrit à ses visiteurs, un beau spectacle de musique de chambre, orchestré par un duo, avec Khodja Atika au piano et Mahella au violon. De la musique classique mais également du fado étaient à l'honneur pour accompagner délicatement ces douces et agréables soirées mondaines. Dans cet espace qui ne désemplit pas, il existe toujours «ce désir de se retrouver dans un endroit, où l'on peut voir quelque chose de beau, partagé par tous». Un engouement du public qui n'a pas cessé d'augmenter avec le temps et c'est tant mieux. «Je suis bien contente, avoue Mme Yahou, car les artistes ne sont plus isolés et rejetés comme avant». Et de nous expliquer sa grande satisfaction, sa joie de voir tous ces gens qui étaient au départ récalcitrants, ne témoignant que peu d'intérêt à l'art, se précipiter aujourd'hui pour acquérir les tableaux de certains artistes-peintres. Une joie renforcée par cette impression d'avoir contribué à l'évolution des choses. «C'est réussir à inculquer l'amour de l'art à ces gens, comme jadis j'aspirais à faire apprendre l'anglais à mes élèves», nous confie-t-elle avec fierté. Une mission qu'elle a toujours accomplie avec coeur et conviction. C'est à Larbaâ que la petite Atika est née et a grandi au milieu de la nature. Elle ne tardera pas à cultiver un goût prononcé pour tout ce qui se rapporte à l'art et à l'esthétique. Etant la plus jeune de quatre enfants, sa mère, une Ferardji, lui inculqua l'art de faire de bons petits plats qu'elle se plaît à perpétuer notamment à chaque fois qu'elle organise une table d'hôtes. «Car la cuisine algéroise est très variée», dit-elle. Avenante et attentionnée, Mme Yahou tient ce don de sa mère qui aimait recevoir et cultiver les relations humaines. Titulaire d'une licence d'anglais qu'elle obtint de l'université de Bouzaréah, et après avoir enseigné l'anglais à Kouba en 1973, Mme Yahou partit en 1980 à Cambridge University of Arts and Technology dans le cadre de l'assistanat. Elle en revient très riche sur le plan humain. Mme Yahou est toujours à la recherche de ce côté foncièrement bon chez l'individu, comme dirait J.J Rousseau. Un très bel exemple d'altérité.