Beaucoup de surprises et de retournements de situation dans une présidentielle iranienne plus serrée qu'il n'était prévu. Pour la première fois en République islamique d'Iran, un second tour sera nécessaire pour départager les deux candidats arrivés en tête, MM.Rafsandjani, ancien président et candidat modéré et pragmatique, et Ahmadenijad ultra-conservateur et favori des plus durs du régime. Ainsi, selon les résultats officiels publiés hier, Akbar Hachemi Rafsandjani arrive en tête avec un suffrage de 21,10% des voix, devant Mahmoud Ahmadenijad, 19,25% des voix, des 28,85 millions de voix exprimées. Il est vrai que le passage au second tour de M.Ahmadenijad était inattendu, d'autant plus que le maire de Téhéran, outre sa réputation de dur n'avait pas une véritable assise politique, au contraire de M.Rafsandjani qui brigue un troisième mandant après ses deux premiers mandats. Les deux hommes devancent le religieux modéré Mehdi Karoubi (17,46%) en tenant compte des chiffres annoncés dans la journée d'hier. Sur un électorat de plus de 46 millions d'Iraniens, appelés a désigner le successeur du président sortant, Mohamed Khatami, quelque 28,85 millions d'électeurs ont pris part au scrutin, ce qui donne un taux de participation global de 62%, un chiffre honorable quoique un peu inférieur à celui des élections de 2001 où la participation a été de 66,59%. Avant la publication officielle du taux de participation, il a été indiqué à un moment, dans la journée d'hier, qu'il était de 68%, un score inespéré par les radicaux du régime. De fait, le taux de participation était l'un des enjeux déclaré du scrutin de vendredi, le régime attachant une importance stratégique à une forte participation populaire laquelle légitimait, à ses yeux, un régime fort décrié à l'étranger. Sur ce point, et selon les chiffres fournis par le ministère iranien de l'Intérieur, le pari a été gagné, alors qu'il a été craint que le désenchantement populaire face aux multiples problèmes que rencontre la société iranienne, singulièrement les jeunes, dont nombreux sont privés de travail, ne pénalise le scrutin et remette en cause la ligne suivie par le régime. Au plan des résultats, il y a eu plusieurs retournements de situation, tout au long du dépouillement des bulletins, donnant notamment à l'ancien président du Parlement Mehdi Karoubi, un religieux modéré, proche des réformateurs du président sortant M.Khatami, 21,8% des voix devant le super-favori, Akbar Hachemi Rafsandjani, crédité de 21,4% des voix. Mais cet ordre ne devait qu'être provisoire, M.Rafsandjani reprenant la tête, devant l'inattendu ultra-conservateur, Mahmoud Ahmadinejad, maire de Téhéran et ancien membre de l'armée idéologique, soutenu, indique-t-on, par les plus durs et les plus à droite du régime islamiste. En fin d'après midi, les résultats provisoires donnaient dans l'ordre M.Rafsandjani avec 21,57% des voix sur environ 25,6 millions de bulletins dépouillés, devant deux candidats surprises à ce niveau: Mahmoud Ahmadenijad (19,98%) et Mehdi Karoubi (18,68%). Le réformateur Mostafa Moïn, 14,29%, a fait illusion un court moment en prenant la tête du suffrage au début des dépouillements. M.Moïn, rappelle-t-on, avait été disqualifié par les Gardiens de la révolution, un comité non élu qui supervise les élections, avant qu'il ne soit repêché à la demande expresse du Guide de la Révolution islamique, l'ayatollah Ali Khamenei. Toutefois, la surprise, c'est encore le résultat médiocre de Mohamed Baqer Qalibaf, ancien officier de l'armée idéologique, favori des conservateurs, et -dit-on- du Guide Ali Khamenei, que d'aucuns voyaient disputer la présidence à M.Rafsandjani, qui n'obtient que 14,60% des voix, selon le décompte en milieu d'après-midi d'hier, le troisième ultra-conservateur, Ali Larijani, qui vient également de l'armée idéologique, ne recueillant que 6,36% des voix, alors que le deuxième réformateur, Mohsen Mehralizadeh, n'obtient qu'un maigre 4,48% des voix. Tout cela donne une présidentielle très disputée et à tout le moins équilibrée cela sans que les observateurs se fassent en fait illusion sur la sincérité d'un scrutin marqué par la polémique et des accusations diverses. L'accusation la plus surprenante vient de Mehdi Karoubi qui conteste le retournement de situation en sa défaveur, qui n'hésita pas hier à mettre les pieds dans le plat en déclarant que les élections sont «truquées» indiquant «il y a eu de drôles d'interférences. De l'argent a changé de main», selon l'ancien président du Parlement, qui ajoute: «Ils peuvent bien me poursuivre en justice, je donnerai tous les noms des gens au pouvoir pour ma défense.» Avant lui, le président Khatami a haussé le ton pour dire que le seul résultat officiel est celui du ministère de l'Intérieur, après l'interférence des Gardiens de la Révolution, qui avaient déclaré, alors que le dépouillement n'était pas achevé, qu'il y aura un second tour fixant même la date de son déroulement au vendredi prochain, (24 juin), alors que l'Intérieur affirme que dans un tel cas de figure un second tour ne peut être organisé avant le 1er juillet. Cette passe d'armes montre combien la situation demeure confuse et est loin de s'être décantée quant aux prérogatives des institutions non élues, tels les Gardiens de la Révolution, et celles du gouvernement. Il reste que l'officialisation hier, du second tour de la présidentielle iranienne est une première inattendue dans les moeurs de la République islamique.