Durant toute sa carrière, l'ambassadeur de la chanson targuie a fait les frais de l'indifférence des pouvoirs publics. Djanet ville morte. L'oued est passé mais la capitale du Tassili d'Azdjer, ne finit pas de pleurer son fils mythique, Athmane Bali, mort la semaine précédente emporté par l'oued et dont la région n'a vu d'égal en intensité depuis 1954. Vendredi 24 juin, la famille, les proches, les petites gens ont, tout au long de la soirée, défilé au domicile maternel du défunt pour prendre part à la cérémonie funéraire que les Touareg d'ici appellent communément «El Waâda». Les visages frappés de pâleur, les Djenatiens ont du mal à réaliser le sort tragique de leur «ambassadeur», mais nombre d'entre eux, les plus vieux , en bons croyants, prêchent la bonne parole, s'en remettant à Dieu et prient la providence pour que leur fils, frère, ami... «trouve place dans le vaste Jardin divin, le Paradis.» A l'extérieur de la modeste demeure à Tindjylan, une verdoyante oasis au pied des plateaux du Tassili, Khadidja la mère du défunt, drapée dans son «hayek» vert et noir en compagnie de son petit-fils Nabil, le fils de Bali, accueillent les visiteurs avec sourire et bienveillance pour dire combien est exemplaire le courage si réputé des hommes bleus. Jamais édité dans son pays «Alors que des artistes étrangers, très peu connus à la galerie, recevaient des sommes de 4000 euros, le cachet de Athmane Bali ne dépassait pas souvent les 50.000 DA.» s'indigne son imprésario- sorte de manager- Loudah Idriss. Pis, selon ce dernier, le chanteur n'a jamais été édité dans son propre pays. «Des maisons d'édition sollicitées pour ce faire, ont soit refusé, soit proposé des contrats d'une valeur dérisoire, parce que, soutiennent-elles, l'artiste n'est pas rentable commercialement.» Il est vrai que les albums de Bali comme Demaâ, Amin, Assouef...pour ne citer que ces trois exemples, qui font autorité sur la scène internationale, sont à dessein ignorés par la grande majorité des éditeurs nationaux mercantiles, dont le souci est très loin de promouvoir le patrimoine musical qui fait la richesse du pays. «Bali avait proposé il y a quelques années à la maison Cadic, un nouvel album que celle-ci n'a jamais édité.» ajoute son collaborateur. «Bali est absent sur le marché national. C'est une insulte pour lui» observe-t-il. Fort de sa notoriété internationale, notamment en Europe, Bali s'est rabattu sur les maisons d'édition françaises, belges... pour éditer son répertoire qui recèle quelque 170 chansons, dont une vingtaine seulement sont connues en Algérie. Un seul éditeur, Belda Edition, a manifesté son intérêt pour le double album-live extrait de deux concerts que Bali avait animés à Anvers en Belgique et à Caracas au Venezuela. La sortie de l'album est prévue pour 2006. Des anecdotes racontent qu'une jeune Israélienne, fan de Bali, lui avait un jour demandé de lui signer un autographe sur le boîtier du CD dont le titre était écrit en hébreu cela pour dire l'étendue universelle de la musique de Bali. Néanmoins, s'il fut aussi honteusement mis à la touche par de véreux éditeurs, le chanteur a pu et a su s'imposer sur la scène nationale et grâce à quelques personnes de bonne volonté, dont Khalida Toumi. Et oui, l'actuelle ministre de la Culture qui a, selon notre interlocuteur, de tout temps, apporté son aide à Bali en lui organisant des tournées nationales et autres types d'événements. La ministre, rappelle-t-on, a été absente lors des funérailles de l'artiste en raison, affirme des sources à Djanet, des conditions climatiques qui n'ont pas favorisé son déplacement par avion. La troupe survivra-t-elle au séisme? Nabil, le fils du défunt, sur qui les yeux sont rivés depuis la disparition de son père, veut perpétuer le destin de la troupe, qui existe déjà depuis une vingtaine d'années. Dans la waâda de samedi, cette question a fait l'objet d'une réunion à laquelle tous les membres du groupe ont pris part. «La reprise de la troupe est très difficile après avoir perdu son épine dorsale» reconnaît Smaïl Khatou, percussionniste de la troupe. Nabil lui, fort d'un répertoire assez important et d'une maîtrise de l'instrument, confirmée dans plusieurs occasions, paraît tout indiqué pour reprendre le flambeau, mais cela ne saurait se faire sans l'aval de ses compagnons. «Je possède mon propre répertoire. Et avec celui de mon père, je pense que nous pourrons faire quelque chose» a-t-il confié. Seulement voilà, les conditions matérielles viendront à manquer si l'idée de la reprise se confirme. La ville de Djanet, en dépit de sa notoriété musicale, reste hélas dépourvue de studio, d'école de musique, de conservatoire..., le père et fils Bali avaient en projet de mettre en place un studio à Djanet, mais la mort tragique de Athmane remet tout en question. Et c'est dans ce cadre justement que les pouvoirs publics, et à leur tête le ministère de la Culture, doivent tout faire non seulement pour préserver une musique menacée d'extinction mais aussi de sauver une troupe musicale qui a fait jusqu'ici le bonheur et la fierté de notre culture, et Athmane Bali était à la fois son émanation et son chef d'orchestre.