Enjeu Le Kurdistan est enfiévré à la veille des élections qui sont, pour la plupart, une étape dans l'accession à l'indépendance d'une région déjà autonome. Au Kurdistan, où quelque deux millions de Kurdes sont appelés à prendre part à un scrutin historique, ce qui importe à l'Union patriotique (UPK) et au Parti démocratique (PDK), la deuxième formation kurde qui administre de manière tout aussi hégémonique l'autre partie de la région, c'est que les Kurdes votent en masse. A la différence des autres Irakiens, les Kurdes ont déjà connu deux élections libres en 1992 et 1999, après s'être libérés par les armes du joug de Saddam Hussein en 1991. Mais c'est la première fois depuis très longtemps que les Kurdes contribuent, par leurs bulletins, à l'édification politique de l'Irak. Alors qu'ailleurs elle constitue une forte préoccupation, la participation s'annonce élevée. Même si, dans la crainte d'un attentat que personne n'exclut, le Kurdistan est placé, lui aussi, sous très haute surveillance (celle des peshmergas surtout, les Américains opérant en coulisse), la campagne a été épargnée par les violences. Par ailleurs, les Kurdes n'élisent pas seulement l'assemblée nationale transitoire irakienne et les conseils de gouvernorat. Ils sont les seuls à désigner les 111 membres d'une assemblée régionale, instituée en 1992. Le PDK et l'UPK, qui se sont livré une guerre civile au milieu des années 1990, ont formé une liste commune. Leur prépondérance sans partage ne sera pas contestée au Kurdistan. Mais ils ont aussi tout fait pour peser sur les décisions à venir en Irak, en mobilisant leurs électeurs, qui se déplacent traditionnellement nombreux. Il s'agit d'obtenir le plus de sièges possible à l'Assemblée nationale et de s'imposer en partenaires encore plus incontournables, face aux chiites dont la victoire est pronostiquée. Quitte à ce que les Kurdes, qui forment environ 20% de la population irakienne et que servirait un boycottage sunnite, soient «surreprésentés» dans un Parlement auquel il appartiendra de rédiger la future constitution irakienne. Les Kurdes entendent bien qu'elle respecte leurs avantages acquis, faute de quoi ils feront tout pour la bloquer. Pour autant, le PDK et l'UPK ont juré, tout au long de la campagne, vouloir un Irak démocratique et fédéral et n'avoir aucune de ces velléités indépendantistes qui crispent les voisins de l'Irak comme la Turquie et l'Iran. Beaucoup doutent de la sincérité de ces serments qu'un référendum devrait avoir lieu sur l'indépendance le jour même des élections et auprès des bureaux de vote. Les omnipotents PDK et UPK assurent être étrangers à l'affaire. Pour ajouter aux inquiétudes des autres communautés, avec lesquelles l'incompréhension est forte dans l'opinion publique, le PDK et l'UPK réclament que Kirkouk, la grande ville pétrolière que Saddam Hussein a défendue contre leurs assauts en 1991, leur soit «rendue». Elle est «historiquement kurde», disent-ils. La juxtaposition de communautés kurde, turcomane, arabe et chrétienne y rend la situation très volatile. Mais le PDK et l'UPK ont prévenu ne pas être disposés au compromis.