Djamel Ikhloufi, enseignant et inspecteur de la langue amazighe, est un militant de l'identité amazighe. Il commente ici l'évolution de la question, qui fait aujourd'hui l'actualité. L'Expression: Depuis le vote de la loi de finances et le rejet du projet de loi proposé par la députée du PT, tamazighth a fait sortir de leur réserve des militants sur fond de confusion totale. Djamel Ikhloufi: Le moment choisi pour la proposition de ce projet de loi n'est pas innocent, tant pour le moment que pour le cadre. Toutefois, eu égard au retard enregistré en matière de prise en charge effective du caractère officiel de la langue amazighe et la faveur du rejet du projet par la commission de finances, il est tout à fait logique qu'il y ait inquiétude. Le projet de loi aurait pu être proposé à la commission de l'Education nationale qui solliciterait un budget spécial pour la promotion de cette langue. Les étudiants de Béjaïa ont marché aujourd'hui. Il y a eu une grande mobilisation. Mais la préparation de cette manifestation a été truffée de mensonge et de manipulation... La faute n'incombe nullement aux étudiants, mais à ceux qui marchandent sur le dos des sacrifices consentis pour que tamazight trouve sa place. Les déclarations de la ministre de l'Education, du HCA et du Premier ministre n'ont pas été à la hauteur pour calmer les esprits. La motivation du rejet de la loi par la commission qui a omis de citer le caractère officiel de la langue amazighe, a été une maladresse qui n'a pas échappé à l'opinion, donnant lieu à cette mobilisation de jeunes dans une confusion sciemment entretenue pour travailler des intérêts occultes. Il faut cependant reconnaître que la revendication de la généralisation et de l'obligation de l'enseignement de tamazight retenue par les manifestants s'inscrit dans le renforcement de l'unité nationale et la sauvegarde des constantes de la nation. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la mobilisation d'hier à Béjaïa et un peu partout en Kabylie. La question identitaire revient au-devant de la scène. Comment expliquez-vous en tant que militant ce regain d'intérêt? L'enthousiasme suscité par la constitutionnalisation de la langue amazighe s'est estompé avec le temps. Deux années après, rien n'a été encore élaboré pour la promotion et la généralisation de son enseignement. A ce sujet, tamazight comme langue nationale et officielle n'est enseigné qu'à partir de la 4ème année primaire. Il demeure toujours facultatif. Sa généralisation bute sur la loi d'orientation 08/04 du 23 janvier 2008, un article, qui précise l'exigence d'une demande sociale pour son enseignement. Il est donc impératif de réviser cette loi, qui ne prend pas en charge l'officialisation de tamazighth. Le lancement de l'académie de la langue amazighe, qui figure dans le plan d'action du gouvernement, n'est-il pas de nature à prendre en charge les insuffisances que vous venez de citer? Le discours politique destiné à l'opinion nationale bute souvent sur la réalité du terrain. L'enseignement de tamazight est foncièrement politico-idéologique. Il relève plus des hautes sphères de l'Etat que du gouvernement qui n'est qu'un exécuteur. L'académie a toujours été le rêve de tout militant qui se respecte. Toutefois, 22 ans après la création du Haut Commissariat à l'amazighité et son intégration dans l'Education nationale, il fonctionne toujours sans académie qui, si elle a avait été mise en place à temps, elle aurait pu éviter tous ces problèmes, notamment celui lié aux caractères de la transcription, aux méthodes de son enseignement et la prise en charge des langues. Comment voyez-vous la suite des événements? Pour moi, il est utile de féliciter cette jeunesse. Malgré une arabisation à outrance à travers les médias et l'école, la fibre identitaire est toujours présente. Nous devons accompagner ce mouvement afin de lui éviter les dérives du passé. Il s'agit de transmettre le flambeau tel que porté par la génération de 80 où tamazight a été intimement lié aux libertés démocratiques.