Kasserine comme en janvier 2016 Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a toujours affronté un mois de janvier traditionnellement difficile, mais la proximité de l'échéance électorale des municipales fixées au 6 mai prochain rend cette période encore plus délicate. Nuit de colère en Tunisie, lundi soir, quand des manifestations a priori pacifiques se sont métamorphosées en affrontements violents avec les forces de l'ordre provoquant la mort d'une personne et des dizaines d'arrestations ainsi que de nombreux blessés dont 11 policiers. Dans un pays qui connaît traditionnellement une poussée de fièvre durant les mois de janvier depuis la révolution de 2010 et l'avènement des printemps arabes, les heurts nocturnes ont conduit à des saccages de bâtiments publics et des actes de vandalisme dont en ont pâti des magasins et des sièges officiels. Ces nouveaux troubles sociaux ont résulté, apparemment, des mesures d'austérité que contient la nouvelle loi de finances 2018, avec une augmentation de la TVA et l'introduction de hausses des cotisations sociales. Des dizaines de personnes ont donc été arrêtées, 11 agents de police blessés et plusieurs bâtiments publics endommagés au cours de ces manifestations parties de Tebourba, à l'ouest de la capitale, pour se répandre dans différentes villes et localités telles que Kasserine, Gafsa, Gabès, Nabeul, Kairouan et la capitale Tunis. Réagissant à la situation, le Premier ministre Youssef Chahed a affirmé, sur la radio Mosaïque FM, que «lundi soir, nous n'avons pas vu des protestations, mais des gens qui cassent, volent et agressent les Tunisiens. Nous disons aux casseurs et à ceux qui les incitent que, pour le gouvernement, la seule solution est d'appliquer la loi. Le gouvernement est prêt à écouter, mais chaque personne voulant manifester doit le faire de manière pacifique», a-t-il averti. Apparemment en pure perte car, du côté de la gauche représentée par Hamma Hammami, c'est un tout autre langage qu'on a entendu lors d'une conférence de presse. «Si il y a un peu de violence dans les manifestations cela ne veut pas dire que tous les manifestants sont violents, car nous parlons ici de mouvements dans 15 gouvernorats» a assuré le porte-parole du Front populaire qui a profité de l'occasion pour inviter ses partisans à une manifestation le 14 janvier «pour demander l'abandon des nouvelles mesures de la loi de finances, qui détruisent le pouvoir d'achat des Tunisiens». Les ministères tunisiens de l'Intérieur et de la Santé sont montés au créneau pour contester la rumeur sur la cause du décès d'un manifestant de 43 ans qui aurait succombé à une crise d'asthme à l'hôpital de la Ratba, de crainte que la rumeur ne provoque un incendie comme celui de Sidi Bouzid. Ces incidents témoignent en effet de la tension grandissante qui règne dans les villes tunisiennes à un moment où la grogne sociale est à son paroxysme, du fait d'un budget 2018 caractérisé par des mesures d'austérité drastique. A l'appel d'un collectif d'organisations de la société civile, un rassemblement d'une centaine de personnes a pourtant eu lieu sans incident hier dans le centre de Tunis. Mais les mobilisations des jeunes dans les autres villes et dans la périphérie de la capitale ont été marquées par des slogans tels que «la pauvreté et la faim ont augmenté, oh citoyen opprimé!», «le peuple veut la chute de la loi de finances». Réagissant à la grogne, le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, a affirmé que le gouvernement maintiendra le cap, avec des augmentations d'impôt indispensables pour assurer la transition économique du pays. Il a cependant ajouté que le chef du gouvernement Youssef Chahed a suivi les recommandations du président Béji Caïd Essebsi en excluant de ces mesures les produits de première nécessité. Le gouvernement a pour souci de consolider une croissance encore balbutiante avec l'espoir d'une création d'emplois soutenue au profit d'une économie de moins en moins fragilisée. Un discours que les jeunes ne semblent pas prêts à entendre si l'on en juge par les échauffourées nocturnes de lundi dernier, au bout desquelles 44 personnes ont été arrêtées dont 16 à Kasserine, une ville pauvre du centre de la Tunisie et 18 dans les quartiers populeux de la capitale. Depuis 2011, au lendemain de la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali, le mois de janvier reste marqué par une grogne sociale de plus en plus exacerbée, compte tenu du chômage qui affecte les jeunes, et d'une cherté de la vie dont rares sont les couches qui se sentent épargnées. Cette année ressemblera-t-elle à celle de 2016, quand la mort d'un chômeur à Kasserine avait mis le feu aux poudres au point de contraindre les autorités à décréter un couvre-feu qui a duré des semaines? Une chose est sûre, le contexte est tout aussi tendu.