Même un retrait échelonné reste pour Bush une solution «de la dernière chance». La tendance est au retrait des troupes américaines de l'Irak. Selon des statistiques qui n'ont pas été rendues publiques (voir www.antiwar.com), le bilan des pertes américaines s'élevait au 15 juillet à plus de 1750 morts et quelque 13.000 blessés. Depuis, les évènements se sont aggravés encore un peu plus avec trente cinq marines et un journaliste américain tués en une semaine et la flambée de violence qui ressurgit là où l'on croyait la sécurité rétablie, comme à Falloudja, Ramadi et Tikrit. Washington souhaite alléger ses troupes de moitié en juin 2006 ne laissant que quelque 60 à 80.000 hommes en Irak, tandis que la Grande-Bretagne estime son départ «nécessaire» avant mai 2006 alors que l'Italie veut un retrait définitif de ses troupes avant la fin l'année en cours. Evidemment, les forces américaines et britanniques avancent la thèse de la reprise en main de la sécurité intérieure par les forces irakiennes. Mais, sérieusement, serait-ce réellement possible avec l'infiltration à grande échelle de la police locale par les insurgés et les pertes subies sans arrêt par celle-ci, estimées entre 10 et 25 morts chaque jour? Cependant, le retrait de l'Irak ne signifie en aucune manière l'abandon car les enjeux géostratégiques y sont autrement plus intéressants que le simple enjeu pétrolier qui représente en réalité un objectif de financement et un but lucratif. Les réalités américaines sont plus vastes que cet aspect. Les objectifs militaires ont déjà ciblé des sites, des espaces et leur occupation est une question de temps. L'occupation peut être réelle ou «déléguée» selon ce que le contexte intérieur propose. Le but final est une nouvelle reconfiguration de la carte politique et militaire au plan planétaire. Evidemment, dans la foulée, Washington peut proposer quelques palliatifs aux peuples «investis» et, la démocratie comme modèle et comme représentation américaine d'un «système politique et économique ultime», est réellement le souci majeur de G.W.Bush. Les peuples musulmans ont déjà profité et profitent de cet objectif politique des Etats-Unis qui, malheureusement, s'appuient sur des bases très discutables et largement remises en cause. L'Irak reste le cas-type. L'impasse irakienne est une véritable «Baie des cochons» à ciel ouvert, avec les cochons en moins. 40.000 Irakiens ont été tués depuis le début de l'invasion américaine et le pays est complètement mis à sac. Les infrastructures se sont effondrées et la reconfiguration sociopolitique change de fond en comble: les Sunnites qui ont dirigé le pays depuis quarante ans sont mis hors-circuit par la coalition kurdo-chiite qui prend en main les postes de commandement de l'Irak. Cependant, la résistance est concentrée entre les mains des Sunnites (le cas Moqtada Sadr n'avait été qu'une parenthèse, une exception) et parmi les Sunnites, une tendance sala jihadiste prend en charge la guérilla, la résistance et en fait un djihad, une guerre religieuse. Les quatorze marines tués, mercredi dernier, allongent encore plus la longue liste des soldats américains morts en Irak, mais non pour l'Irak. Le rapt puis l'assassinat du journaliste américain Steven Vincent, auteur du livre sur l'Irak In the Red Zone (Dans la zone rouge), dans la périphérie de Bassorah, une région située dans le sud du pays et épargnée jusque-là par la violence au quotidien, crée en même temps un antécédent et fait craindre le pire. Si on s'éloigne un peu de la vision au quotidien des événements en Irak on peut alors, moyennant un petit effort de concentration, évaluer distinctement l'ampleur de la déconvenue américaine. Le tableau synoptique est saisissant: on est loin des Irakiens, accueillant, fleurs dans la main, les forces américaines. Un grand spécialiste de l'islam politique, britannique devenu depuis peu gourou de l'administration Bush, Bernard Lewis résume à lui seul l'échec des prévisions. L'universitaire anglais en poste à Washington avait prévu un accueil triomphal, une chute rapide de toute résistance, l'instauration de la démocratie, entre autres «prophéties» mais rien ne s'est produit et l'universitaire devait, tout comme les experts militaires qui l'entourent, revoir non pas ses copies mais aussi et surtout, ses conceptions idéologiques très proches de Washington et de Tel Aviv à la fois. Donald Rumsfield ne veut pas reconnaître la synthèse de Tony Blair: les attentats de Londres sont liés à ce qui se passe en Irak. Tant pis pour lui et tant mieux s'il continue à compter sur la confiance sans faille que lui voue G.W.Bush. Finalement, demain ce sera la résistance qui prendra les rênes de l'Irak, et personne n'y pourra absolument rien. Le problème est aussi simple que compliqué : les Etats-Unis ne poursuivent plus aujourd'hui une stratégie politique claire en Irak, alors que la résistance a un but précis: chasser les Américains. Demain, ce serait elle qui récolterait tous les dividendes et Washington, sans le savoir, en aura fait le nouvel héros.