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Face-à-face Boukhamkham-Sahnouni
DEBAT AU SEIN DE L'EX-FIS
Publié dans L'Expression le 18 - 08 - 2005

Le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale nourrit les débats au sein de la mouvance islamiste,qui recherche à l'ombre des polémiques, un nouveau postionnement politique
«Le oui mais...»
Membre fondateur du Front islamique du salut et membre du conseil consultatif jusqu'en juin 1991, Abdelkader Boukhamkham est mis en prison le 30 juin 1991, avec les «Six» (Benhadj, Madani, Chigara, Guemazi, Djeddi et Omar Abdelkader).
En 1994, Liamine Zeroual élargit le groupe, puis après l'insuccès de la négociation de Djenane El Mufti, les remet en prison. Boukhamkham et Djeddi et Chigara échappent à la mesure et retrouvent la liberté.
Quelle lecture faites-vous du discours prononcé par le président et du projet de charte pour la paix?
Je dirais que je suis mi-optimiste, mi-pessimiste. Je m'explique: en fait, nous nous attendions, moi et les autres leaders du FIS, à meilleure part, à voir, au moins, les erreurs du passé partagées entre nous et le pouvoir. Or, le président nous a chargé de tous les maux qu'à vécus le pays, nous a disqualifiés de l'activité politique légale, sans que l'autre partie au conflit, je veux parler des initiateurs du coup d'Etat- de janvier 1992- soit déclarée responsable de la première dérive politique.
Cela étant dit, notre position de principe est de dire oui à la réconciliation, mais en apportant un soutien critique, très critique, à la Charte pour la paix. Malgré des mesures prises très encourageantes, il reste beaucoup à dire sur des points précis.
Je veux dire que les anciens leaders du FIS n'ont pas apprécié certaines mesures formulées dans la Charte...
Quelles sont-elles?
- Premièrement, le texte de la Charte désigne les victimes algériennes sous les appellations «victimes du terrorisme» puis «victimes de la tragédie nationale». La première pour les citoyens assassinés par les groupes armés et la seconde pour les islamistes tués ou disparus, alors que tout le monde, pratiquement tous, ont payé le prix d'une confrontation politique.
Deuxièmement, nous voulons bien croire que le président ait respecté certains enjeux et équilibres au sein du pouvoir et de la société, mais quels sont-ils? Nous sommes convaincus qu'aujourd'hui le président de la République est l'homme n°1 du pouvoir, qu'il jouit pleinement de toutes ses prérogatives constitutionnelles et que de ce fait, il est le premier responsable et peut prendre les mesures les plus aptes à favoriser une justice dans ses prises de décision. Cela dit, il pouvait faire un partage des erreurs du passé entre les deux parties qui étaient en conflit.
Il ne l'a pas fait, et nous sommes encore à nous demander en quoi consiste les équilibres qu'il a respectés...
Troisièmement: le dossier des disparus n'a pas été totalement clarifié. Il y a des cas avérés de «disparitions forcées», confirmées par les missions d'enquêtes nationales et internationales et même par Farouk Ksentini, un proche du président et qui avait été chargé de faire la lumière sur le dossier. Or, la Charte fait l'impasse sur cette vérité et ne comporte dans aucun de ses paragraphes le fait avéré et confirmé que des agents des forces de sécurité se sont rendus coupables de «disparitions forcées». Ces actes n'ont aucune justification aujourd'hui...
Autre chose encore: la Charte interdit toute activité politique pour ceux qui ont contribué à générer la crise algérienne. En fait, une bonne partie de la tragédie a été générée par la destitution du président en janvier 1992, alors que nous étions alors un parti légalisé, agréé et ...
Mais qui n'avait pas respecté les règles du jeu...
- Ecoutez, le FIS n'est pas responsable de la tragédie qui s'en est suivie, comme il n'est pas comptable des tueries déclenchées depuis
lors ...
Certains responsables du FIS à l'étranger appellent déjà au soutien du projet, alors que d'autres disent carrément non. Pourquoi toute cette cacophonie pour un parti qui a besoin de cohésion dans ses réactions?
- Tout le monde est en train de parler au nom du FIS alors que chacun représente uniquement sa personne. La direction du FIS est connue, l'un de ses leaders est en prison, l'autre en exil et les autres sont connus de tous. C'est la direction historique du FIS emprisonnée en 1991 (Abassi Madani, Ali Benhadj, Abdelkader Boukhamkam, Ali Djeddi et Kamel Guemazi, ndlr). Les autres peuvent parler en leur nom personnel mais n'ont pas à impliquer le parti dans leur prise de position ...
Cheikh, vous êtes en train de revivre un schéma de 1991. Nous sommes en 2005, les donnes ont changé, les vérités aussi ...
Non, non, je n'espère pas revenir à 1991, je fais seulement allusion à cette époque pour dire qu'il existe une direction historique issue de ce FIS agréé par l'Etat algérien et qui a activé dans le cadre des lois algériennes, et pour dire aussi que nous ne pouvons pas être comptables de la tragédie qui est venue par la suite, alors que nous avons été mis en prison ...
Nous sommes face à de nouvelles réalités en 2005. Que faites-vous de la charte du président de la République? Vous l'acceptez? Vous la refusez?
Les choses ne se posent pas en termes simples. La situation est complexe, la solution aussi. Le FIS prend acte de ce qui a été dit et fait par le président de la République.
Notre position de principe est d'appuyer le projet de réconciliation, mais en apportant une critique objective. Le débat est déjà engagé parmi nous. Il y a de bonnes choses dans la charte et nous souhaitons avoir notre part de vérité dans cette charte, qui ne constitue pas la vérité définitive, mais qui a essayé d'apporter des solutions à des problèmes qui étaient en suspens depuis longtemps. Il y a des mesures dans la charte qui ne sont pas très objectives, qui font le détour, qui essayent de ménager, de ne pas blesser encore. Or, il fallait être précis, nommer les choses par leur nom. Prenez par exemple, la concorde civile de 1999. Elle a été appliquée à l'AIS uniquement, et les autres groupes armés ont dû observer les contraintes qui ont muselé les repentis depuis lors, d'où leur extrême méfiance...
Nous sommes partie prenante du conflit algérien, du drame et aujourd'hui, de ce projet. Nous avons été mis en prison, persécutés, et nous sommes aujourd'hui engagés dans une voie qui nous concerne et d'où nous avons été exclus. Vous imaginez que les effets de pareilles mesures nous obligent à faire des amendements et à interpeller encore le président de la République. Cela étant, nous ne sommes pas en train de rêver de 1991 : il y a un fait nouveau, des équilibres politiques nouveaux, des enjeux nouveaux que nous essayons de prendre en compte et d'étudier avec un maximum d'objectivité.
«Un soutien critique»
Chef de file de la mouvance sala ans les années quatre-vingt, Hachemi Sahnouni est l'un des fondateurs du FIS dès 1989. En fait, c'est chez lui qu'était né le FIS autour d'un thé entre lui et Ali Benhadj. En juin, iIl dénonce en direct à la télévision les dérives politiques de Abassi Madani. Depuis, il vit en reclus chez lui à Bouzaréah et ne s'exprime que lors des grands événements.
Vous avez entendu comme nous tous le discours du président de la République au sujet de la charte pour la paix et la réconciliation. Quelle évaluation en faites-vous?
Dans l'ensemble, la Charte a comporté beaucoup de points positifs, que nous ne pouvons qu'appuyer. Cependant, nous voulons aussi y apporter notre contribution, notre critique qui s'inscrit non pas dans une opposition politique, mais plutôt dans une démarche de sortie de crise, car nous voulons que le projet aboutisse et réussisse, mais pas avec les contours actuels...
Quels sont les points sur lesquels butent votre volonté d'y souscrire à fond?
En fait, notre position de principe était claire dès le début, et nous avons aidé le président de la République depuis 1999. Nous souscrivons à cette Charte mais comme je l'ai dit, il faut la critiquer, la compléter, l'améliorer, afin qu'elle puisse constituer une plate-forme réelle pour la réconciliation nationale. Nous voulons que le projet soit une réussite, mais nous ne sommes pas ici pour applaudir, l'air béat et stupide. Les choses ne se posent pas en termes de soutien, mais en termes de débats, pour améliorer et comprendre...
Comprendre quoi?
Vous n'ignorez pas que beaucoup de mesures restent entourées de zones d'ombre. Actuellement, avec quelques «frères», nous sommes en train d'étudier le projet de charte, car il y a des points à éclaircir. Nous demanderons à des juristes de nous éclairer sur certains points d'ordre juridique, et nous en ferons notre propre lecture à la lumière de ce que décideront les autres «frères». Il se peut que nous ayons mal compris ou mal interprété certains paragraphes. Nous voulons prendre notre temps pour saisir l'esprit, le contenu et la teneur du projet de Charte.
Vous semblez désorienté par les mesures de la Charte. Vous vous attendiez peut-être à mieux ...
Non, pas spécialement. Personnellement je n'ai pas de préjugés, mais juste des objections, des remarques, des observations, et tout cela est formulé avec patience, avec mesure, pour que la solution soit totale, définitive et acceptée par tous.
Il ne faut pas se suffire de demi-solutions dont les conséquences peuvent ressurgir des années plus tard.
Soyez plus précis.
Oui, évidemment. En fait, je souhaitais que la solution serait équitable pour tous. Mais là, je vois que des lacunes peuvent fausser le jeu.
Comment disqualifier tous les membres du FIS alors qu'il existe parmi eux ceux qui ont géré, ceux qui n'ont pas géré, ceux qui ont appelé au calme et ceux qui ont agi dans la légalité? La Charte parle comme s'il s'agissait d'un seul bloc... J'espérais aussi voir s'ouvrir le dossier des injustices sociales, et qui ont grandement contribué à attiser les feux de la discorde. En fait, nous sommes en plein travail et nous ferons part de nos remarques très prochainement dans un communiqué qui sera rendu public.
Vous rendrez public un communiqué où vous allez interpeller le président de la République, initiateur du projet de charte?
En fait, personnellement je vais saisir le président de la République directement par un écrit, et mes compagnons rédigeront le communiqué duquel je suis cosignataire. Nous voulons que le projet ait des effets sur le long terme et ne soit pas uniquement une solution temporelle destinée à calmer les douleurs du jour.
Concernant les groupes armés, il y a de réelles avancées dans le projet de Charte. Vous n'en parlez pas ou vous vous occupez uniquement de mesures politiques?
Je saisis votre idée, et je n'ai personnellement nulle envie de reparler de 1991. C'est du passé, et c'est dépassé. Ce que je dis est ceci: les mesures qui concernent les groupes armés et les gens recherchés par la police sont excellentes, encourageantes, mais je veux dire aussi que si ces mesures juridiques sont suivies de mesures politiques tout aussi encourageantes, ce serait plus excellent encore. Ce n'est pas une question de mieux, ou de pire, mais de bien et de mieux, et nous voulons mieux. Evitons d'applaudir à tout bout de champ tout ce que le président dit et fait, car en réalité il a plus besoin d'un soutien critique que de partisans du «tambour battant».
Les groupes armés sont plus réceptifs au discours religieux, êtes-vous prêt à lancer un appel dans leur direction?
Ecoutez, il y dans la prison ou en liberté, des leaders du FIS qui peuvent contribuer à faire fléchir la position des groupes armés, pour peu qu'on les laisse faire. Le projet de la réconciliation nationale est un vaste chantier pour l'avenir, pour la paix, et beaucoup peuvent contribuer à faire avancer les choses dans le bon sens. Nous planchons aujourd'hui sur un travail d'étude de la charte, et dans quelques jours nous en reparlerons dans le détail.


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