Il est vraiment rare de voir un inculpé affronter seul cinq bonhommes d'une même famille, venus à la cour lui régler sa cravate... Un spectacle insolite s'offrit à nos yeux lorsque Mohamed Martil, le président de la chambre correctionnelle de Médéa, bien encadré par les deux conseillères, appela cinq membres de la famille Bouaichaoui, victimes de Darradji qui ne comprenait pas le pourquoi de ces poursuites, malgré le différend qui les oppose et mon Dieu, quel différend! Il faut seulement savoir que les montagnards ont leur propre idée sur la plainte, les poursuites et les débats qui suivent normalement toutes ces procédures. Avant d' entrer dans le vif du sujet, un mot sur les questions liées aux monstrueux rôles qui encombrent les pupitres des magistrats. Les personnes debout à sa gauche, ne le regardaient même pas, question de démontrer aux trois magistrats qu' ils lui en voulaient quitte à l' envoyer à l'ombre pour un bon moment. La salle était archi comble et la manière de s'habiller des présents, montrait que les affaires viennent des localités de Berrouaghia, Hamdania, Béni Slimane, Seghouane, Oumaria, Benchicao... Les avocats aussi sont venus d' un peu partout de la région et même du pays (Annaba, Blida, Alger, Tizi Ouzou, Bouira, Djelfa etc...). C'est précisément cette situation qui fait que les bavardages ne sont pas légion. Les femmes? Ce jour-là, nous les avions comptées sur les doigts et d'une seule main: outre les deux conseillères, il y avait une jeune avocate, une victime de diffamation et sa cousine venue derrière par prévention... Au milieu de ce tableau disparate, nous notons avec un réel plaisir la bonne vigilance des policiers bien disposés à l'intérieur de la vaste salle d'audience et même dans la salle des «pas perdus» où se reposent trois gendarmes qui ont laissé la criminelle se dérouler convenablement, les policiers assurant à merveille la surveillance des lieux, propres à souhait, nous ne cesserons jamais de le répéter à chaque passage. D'emblée, le président Martil qui est un partisan des lutteurs contre ceux qui viennent faire perdre leur temps aux magistrats à travers des interventions intempestives, s' adressa à la première victime: «Vous, Ismaïl, est-ce que ce monsieur a porté la main sur vous? Répondez par oui ou par non! Il se fait tard et les gens attendent pour rentrer! Ne perdons pas de temps en déclarations inutiles!» ajoute le président qui fait bien de répéter à chaque fois les mêmes propos aux justiciables souvent sonnés par les termes propres aux juridictions et dont ils ne saisissent que dalle! La victime dit non en précisant avoir reçu (il montre le bras gauche) «des coups au moment où j'ai voulu séparer ce monsieur et les autres durant la rixe. Je ne voulais pas que tout cela arrive! C'est le destin qui m'a mis sur leur chemin. Je n'aime pas trop ces histoires, et surtout pas les bagarres. Ce n'est pas mon éducation et je...» - ça va, ça va, répondez ce que vous savez de cette histoiree.» Même question à la deuxième victime qui fut catégorique: «Non, monsieur le président!». Le troisième est un vieillard de 85 ans, sourd qui s'est avancé du pupitre des magistrats, aidé en cela par un proche et qui s'emmêla les pinceaux. Le juge joua le jeu; il fit semblant d'avoir bien compris et passa à la quatrième victime qui, elle, dramatisera les faits et sera emportée par une vague de haine vite escamotée par le détenteur de la police de l'audience, Martil qui n' aime visiblement pas les histoires à dormir debout et adore surtout qu'on lui donne des faits précis où toute la lumière doit être établie autour de déclarations faites souvent dans le désordre au commissariat ou à la brigade du coin. La cinquième et dernière victime sera la plus jeune et la plus clairvoyante des cinq puisqu'elle arrivera à décortiquer les faits qui commencèrent et finirent au malentendu: «C'est une histoire qui n'en est pas une! De rien, on confectionna une boule de laine, comme on dit dans notre patelin! Vraiment, je ne peux aider la cour dans la recherche de la vérité. Je suis vraiment désolé, mais c'est tout ce que je peux vous dire.» Ainsi, la cour ne saura rien de plus que n'ont dit et répété les cinq victimes. On se demande si réellement ces gens sont venus se plaindre ou gémir quelques instants, histoire de dire haut et en public leur haine viscérale de leur adversaire. Les magistrats, eux, ont compris et leur verdict sera à la hauteur de ce non-évènement!