Ceux qui connaissent ou ont eu l'occasion de visiter le Vieil Alger ont certainement emprunté la célèbre ruelle des «Racim» ; ils ont pu admirer, à l'ombre des auvents de tuiles vertes, la maison natale des célèbres miniaturistes algériens. C'est en effet dans cette demeure que Omar et Mohamed Racim, ainsi que leurs soeurs Malika, Saliha et H'nifa, mère de notre grand peintre contemporain Ali Khodja, sont nés. La famille Racim avait l'art dans le sang et c'est sans doute de cette tradition qu'ils ont hérité leur nom: «Racim», qui signifie en arabe peintre, dans le sens artistique du mot. Le père, Ali Racim, excellait dans l'art de sculpter, et de peindre le bois des appliques, des cadres et des coffres de mariées ; il savait créer les miniatures et les enluminures sur verre qui décoraient les intérieurs des familles algériennes. Son oncle, comme ses fils avaient exercé ce métier délicat dans l'atelier familial et c'est là qu'ils reçurent leurs premiers enseignements et les secrets de l'art de la miniature. Ils ont révélé dès leur enfance, des qualités exceptionnelles, une remarquable maîtrise dans l'exécution, un sens inné du dessin et de la couleur, une imagination pleine de grâce et d'élégance. A l'école des Beaux-Arts d'Alger et au cabinet de dessin de l'Académie, ils ont confirmé la technique transmise par leur père Ali Racim. Seuls les connaisseurs, experts dans le domaine peuvent distinguer si une oeuvre, est de l'un ou de l'autre des deux frères, mais sans jamais pouvoir en être absolument certain. Omar Racim, maître précurseur et incontesté de la miniature algérienne, a été le premier à exposer ses oeuvres à l'étranger, obtenant honneurs et distinctions, ainsi que de nombreuses médailles. Ses expositions eurent un succès éclatant. Ses voyages l'amenèrent à rencontrer les grands du monde d'alors dans le domaine artistique ; c'est ainsi qu'il fut contacté par le IIIe Reich, qui était à la veille, d'entrer en conflit avec la France, (seconde Guerre mondiale). Omar Racim fut invité à Berlin avec les responsables de la résistance algérienne, qui activaient fébrilement dans l'Algérie occupée, mais il n'y eut aucune suite à cette aventure. A son retour en Algérie, Omar Racim fut arrêté par la DST et incarcéré à la prison de Barberousse (Serkadji) plusieurs années durant lesquelles il est torturé et maltraité. La vie dans ces geôles coloniales étant des plus inhumaines, il y perdit toutes ses forces et mourut à la fin de l'année 1968, il fut enterré dans le mausolée de Sidi Abderahmane dans cette Casbah qui lui fut chère et dont il a laissé d'inoubliables miniatures. Il a laissé une oeuvre colossale, mais son frère n'a jamais cessé de créer, continuant son oeuvre et y ajoutant sa touche et son génie. Il entreprit des oeuvres magistrales: le décor de la Khadra de Dinet, Le jardin des roses de Saâdi le Coran de Frantz Toussaint, La sultane rose de Maraval Berthom, Le chant des caravanes de S. Oudiane et bien d'autres encore. Ses expositions à travers le monde lèvent le voile sur l'Algérie, son pays ; grâce à son art subtil et délicat, il ressuscite son histoire perdue. Il évoque dans ses oeuvres Alger, sa ville natale, il en aime le passé d'hier et de jadis, qu'il restitue à l'aide de ses souvenirs, passé glorieux et faste. Ainsi cet art connaît grâce à Mohamed Racim une véritable renaissance, et prend un essor prodigieux, attirant une pléiade de jeunes talents qui s'adonnent alors à la miniature et à l'enluminure, conquis par son exemple et son enseignement. A ce titre Ben Hassel Abdelkrim, Algérois comme lui, élève préféré de Omar Racim, son frère, bien qu'il nous ait quittés trop précocement en 1974 à la suite d'une grave maladie, a laissé à la postérité quelques miniatures, oeuvres rares et inconnues du public, qui contiennent toute l'âme de la miniature algérienne. L'un de ses fils, le plus jeune, Tarik, médecin à Alger qui peint à ses moments de loisir est bien déterminé à continuer l'oeuvre de son père. Mohamed Racim a vu son talent reconnu lorsqu'il reçut la médaille des orientalistes et le grand prix artistique de l'Algérie. Il est nommé professeur à l'école des Beaux-Arts et élu membre honoraire par la société royale d'Angleterre pour ses travaux. Sa fin tragique en 1975 avec son épouse à l'âge de 79 ans a profondément touché le monde de la culture. L'assassin du grand miniaturiste n'a jamais été retrouvé.