Demain, s'ouvrent à Bruxelles les pourparlers en vue de l'adhésion de la Turquie dans le cadre de l'élargissement de l'UE. L'ouverture, demain, des négociations avec Ankara, dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, était hier encore incertaine du fait des conditions posées par l'Autriche qui s'oppose à une intégration totale de la Turquie au grand ensemble européen. En bloquant, jeudi, l'adoption par les 25 du mandat des pourparlers avec Ankara, Vienne menace ainsi l'entame des négociations devant aboutir, d'ici à dix ans, à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Pour donner son ‘'feu vert'', Vienne met les 24 autres Etats de l'UE au pied du mur, en exigeant de leur part un ‘'geste'' en direction de la Croatie, intéressée également à rejoindre l'ensemble européen. Après l'échec de la réunion des ambassadeurs des 25, vendredi à Bruxelles, une source diplomatique européenne, proche du dossier, a indiqué que: «Les Autrichiens maintiennent leurs réserves sur le cadre de négociation. Leur demande prévoit une solution alternative ou intérimaire à l'adhésion, au cas où l'UE n'aurait pas la capacité d'absorber la Turquie ou au cas où la Turquie ne remplirait pas tous les critères». Vienne, qui ne veut pas d'une Turquie membre à part entière de l'UE, est en revanche disposée à soutenir toute proposition faisant du pays du Bosphore un «membre-associé» de l'UE. Ce que Ankara refuse catégoriquement, c'est «l'adhésion ou rien», répètent à l'envi le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et son chef de la diplomatie, Abdullah Gul. Lors de leur réunion de jeudi, 24 Etats membres de l'UE sont parvenus à un accord sur un texte qui prévoit que «l'objectif commun des négociations est l'adhésion. Ces négociations sont un processus ouvert, dont le résultat ne peut être garanti à l'avance». En effet - après dix ans de négociations - la Turquie n'est pas assurée qu'elle fera partie de l'Union européenne à l'issue de ces pourparlers. Le texte du mandat de négociation approuvé par 24 Etats membres indique par ailleurs «prenant en compte tous les critères de Copenhague, si la Turquie n'est pas en mesure d'assumer toutes ses obligations pour devenir membre, on devra s'assurer que la Turquie sera pleinement ancrée dans les structures européennes à travers le lien le plus fort possible». Le désaccord qui subsistait entre les membres de l'UE a été annoncé jeudi par la Grande-Bretagne, président en exercice de l'Union. Cette situation a induit la convocation d'une réunion ‘'extraordinaire'' des ministres des Affaires étrangères pour aujourd'hui dans l'espoir de dépasser le blocage apparu à la veille de l'ouverture des négociations avec Ankara. Cette situation n'a pas été sans faire réagir les Turcs. Ainsi, le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul, estimait vendredi, après l'échec de la réunion des ambassadeurs, que: «Sans aucun doute, il y a un risque de ne pas commencer les négociations d'adhésion» indiquant d'autre part «d'un autre côté, des efforts intenses sont faits pour parvenir à une solution, mais veut croire à une issue positive en soulignant qu'il y avait encore du temps pour résoudre les problèmes». Toutefois, l'indécision que montre l'Europe, a fini par indisposer le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a déclaré vendredi lors d'une conférence à Corum, (centre de la Turquie) que son pays «se réservait le droit de dire non aux Européens». Cité par l'agence turque Anatolie, M Erdogan a dit par ailleurs être «(...) convaincu qu'ils (les Européens) agiront avec sincérité au sujet du cadre des négociations. Sinon, il est évident que la réponse qu'ils obtiendront de la Turquie sera très, très, différente de celle qu'ils ont eu jusqu'à présent». Le Premier ministre turc a aussi dit qu'il y avait ‘'au sein'' de l'Union européenne de «cercle de fanatiques» qui s'opposent à l'entrée de la Turquie dans l'UE. S'il y a des pays qui s'opposent directement, ou en sous-main, à l'adhésion de la Turquie, il y en a d'autres qui militent pour un tel élargissement vers le Levant car ils estiment qu'il est dans l'intérêt de l'Europe. C'est entre autres l'avis de Javier Solana, le Haut représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne, selon lequel il y avait «un risque de grande dimension de laisser la Turquie sans ancrage dans le monde». Dans un entretien avec le quotidien belge Le Soir, M.Solana a en effet indiqué: «Projetons-nous dans 25 ans. Et imaginons que nous ayons dit non à la Turquie, que c'est la catastrophe au Moyen-Orient, qu'il y a un problème de pétrole et d'énergie énorme. Peut-être regrettera-t-on alors de ne pas avoir dit oui, d'avoir incorporé la Turquie à notre manière de penser, à notre philosophie, à nos valeurs...» et d'ajouter: «Pour le citoyen de l'Union, mieux vaut avoir la Turquie de notre côte que... je ne sais où», estimant que l'UE devait «respecter ses engagements». De fait, les défiances envers la Turquie restent tenaces de la part de nombreux ténors de la scène politique européenne, du seul fait que ce pays est justement un pays musulman, et nombreux sont ceux qui n'ont pas hésité à le dire faute d'avoir de vrais arguments contre l'accès de la Turquie à l'Union européenne. Le fait que cet accès à l'UE n'est pas garanti à la Turquie, même après dix ans de négociations, les dérapages ayant marqué les discussions préliminaires, les désaccords apparus à la veille de l'ouverture des négociations avec Ankara, en disent long sur le chemin que les Européens ont encore à faire pour admettre que la Turquie est un pays européen à part entière ayant les mêmes droits que les autres pays européens à entrer dans le grand ensemble européen qu'est l'Union européenne.