Kouo Mo-jo, Kaddour M'Hamsadji et Mme son épouse Samya à Pékin en juin 1967 Il parle sans boursouflures, sans adjectifs sonores, sans enflures lyriques, mais sans sécheresse non plus. C'est sa manière élégante de dire les choses sans haine et sans rancune. A 85 ans, Kaddour M'Hamsadji a toujours l'esprit vif et critique. Mais un critique constructif et positif. A chaque propos, il insiste d'ailleurs, sur cet aspect des choses: «Eduquez, éduquez par vos écrits, par votre parole, par votre comportement...». Dans cet entretien qu'il a bien voulu nous accorder à l'ouverture du Salon international du livre, il évoque avec nostalgie et émotion, le voyage qu'il a effectué en compagnie de son épouse en pleine révolution culturelle en Chine. Plus de 50 ans après ce voyage, Kaddour reste toujours fasciné par ce peuple travailleur, capable de déplacer des montagnes... L'Expression: Aujourd'hui s'ouvre le Salon international du livre d'Alger, vous en tant que Doyen des écrivains algériens, que représente pour vous cet événement culturel? Kaddour M'Hamsadji: Je dirais tout de suite que c'est un événement exceptionnel parce que c'est très intéressant d'abord pour le livre algérien et donc évidemment les écrivains mais le livre algérien peut être promu, peut être mieux connu. J'espère qu'il y aura beaucoup de monde pour lire. Cela c'est très important et en même temps c'est une rencontre d'écrivains entre eux, rencontres écrivains et éditeurs. Ce sont des échanges très importants qui peuvent promouvoir la culture en général en Algérie. Cette année, l'invité d'honneur c'est la Chine et ça tombe bien puisque vous, vous avez été le premier écrivain algérien à être traduit en chinois. Racontez-nous comment ça s'est passé. Merci pour cette question, parce que, effectivement, la Chine, la République populaire de Chine, est invité d'honneur cette année au Salon du livre 2018 et il y aura le Prix Nobel chinois, Mo Yan, c'est quelqu'un que je n'ai pas eu l'occasion de connaître, mais j'espère le rencontrer. Je dois vous dire que je suis très heureux en tant qu'écrivain algérien, évidemment, de recevoir nos amis écrivains chinois et surtout pour un rapprochement culturel avec le peuple chinois. J'ai un livre intitulé «Le silence des cendres» qui a paru en 1963 et on a reçu à l'Union des écrivains, par parenthèse je fais partie des membres fondateurs de l'Union des écrivains, créée le 28 octobre 1963. J'ai rencontré des écrivains chinois et mon livre venait de sortir. Je leur ai offert un exemplaire, moi je publiais évidemment en français. Quelque temps après, je reçois une invitation de l'ambassade de la République populaire de Chine m'invitant à aller en Chine tout en m'apprenant qu'on venait de traduire mon ouvrage dont je garde encore un exemplaire. Cette invitation a duré trente jours et c'était en pleine révolution culturelle. Un mois complet. Et j'ai beaucoup appris. Il y a un précepte populaire qui dit «allez apprendre la science, dussiez-vous aller en Chine». J'ai appris beaucoup de choses. Qu'un peuple vivant est celui qui travaille. Tout le monde travaillait dans les campagnes, dans les industries, dans les milieux culturels... Ce serait long de raconter cette visite qui a été pour moi une ouverture immense, un voyage immense et de toute beauté. J'ai rencontré d'éminents écrivains, notamment Kouo Mo-jo qui est décédé récemment. En 1978, il était le président de l'Union des écrivains chinois. J'ai eu évidemment un long entretien avec lui et une très grande sympathie s'est créée. Mon épouse m'accompagnait d'ailleurs et j'ai aussi fait plusieurs conférences concernant la littérature algérienne en en faisant l'éloge et en même temps pour créer un échange culturel. Cela a permis évidemment, à mon retour, de remercier nos amis écrivains chinois en publiant une nouvelle intitulée «Les enfants de new kong». C'est une grande légende où l'on parle d'un vieillard qui a déplacé une montagne pour avoir du soleil pour agrandir son jardinet. C'est important. D'ailleurs, Mao Tsé-toung utilise beaucoup cette idée de légende qui remontait peut- être jusqu'à Confucius. Cette nouvelle a fait partie d'un recueil de nouvelles intitulé «Fleur(s) de Novembre» où je parle évidemment de notre révolution. J'ai intégré même quelque chose sur la Palestine. Je suis d'ailleurs en train de m'atteler pour reprendre cette nouvelle et peut-être en faire même sur le plan artisanal un petit livret et l'offrir à nos amis chinois qui sont invités cette année au salon. Est-ce que, justement, pour revenir au salon, ses organisateurs ont pris attache avec vous? Je dirais qu'ils ont la bonne volonté, notamment le président-directeur général de l'Enag, Si Messaoudi que j'ai appelé et lui ai rappelé que j'ai été en Chine. Il m'a dit on vous rappellera. Jusqu'à présent, il ne m'a pas rappelé. J'ai été le voir, il nous a fixé un rendez-vous, mais je n'ai pas pu le rencontrer jusqu'à présent. Je me dis qu'il faudrait que j'y aille, même peut-être à titre personnel et rencontrer nos amis chinois pour leur offrir cette nouvelle que j'ai écrite à partir de Pékin. Le Sila prend de plus en plus d'ampleur. Cette année, les organisateurs visent le chiffre de 2 millions de visiteurs. Est-ce que, pour vous, c'est un signe de bonne santé de la lecture en Algérie? Je dois dire hélas, non. Pourquoi? Parce que, on a déjà remarqué cela dans le passé, on le remarquera hélas, cette fois-ci. Les gens viennent faire du tourisme. C'est une sortie inespérée, un peu en dehors d'Alger. Certains viennent, certes, acheter des livres, mais ce n'est pas comme dans d'autres pays qui recherchent le livre, qui recherchent l'auteur. Les gens «ne lisent pas». Je le dis et je le répète. Les enseignants ne lisent pas. Les inspecteurs généraux de l'Education nationale ne lisent pas. Je ne généralise pas. Il y a certainement 10% qui lisent, mais de façon générale, les gens ne vont pas au livre. Je le dis depuis toujours que je n'ai pas encore vu un ouvrage, un livre, sur l'étagère qui fait un coup d'oeil aux passants dans une librairie. C'est le passant qui doit aller au livre, c'est le passant qui doit chercher. Mais les gens n'ont pas encore cet amour de la lecture. Le plaisir de la lecture n'est pas inculqué à nos élèves, à nos enfants. Cette «non-lecture», cette «non-culture» du livre est-elle due à un manque d'offres ou parce que c'est une tendance, maintenant avec les nouvelles technologies, qui fait que les gens ne lisent pas? Au contraire, les nouvelles technologies devraient inciter les gens à lire. Parce que quand j'ouvre le journal, je vois la page culturelle par exemple de L'Expression que quelqu'un a écrit. Moi qui aime la lecture, je vais chercher cet ouvrage. Mais c'est à l'école, dans les établissements scolaires où il y a certes quelques bibliothèques. Mais les enfants ne lisent pas. Les enseignants ne les emmènent pas. Moi j'ai été enseignant et j'ai créé la bibliothèque de classe. J'ai créé même un journal de classe où les élèves pouvaient écrire. J'ai des photos, je peux vous les montrer, mais aujourd'hui, je l'ai dit d'ailleurs devant pas mal d'amis et inspecteurs, moi j'ai aussi été inspecteur d'éducation: Ah Si Kaddour pourquoi vous dites ça, on lit. Oui, mais prouvez-le. Ils ne lisent pas. Vous savez que quand un livre est présenté à L'Expression, beaucoup d'autres confrères de la presse nationale méprisent. Ils reprennent ce que celui qui fait «Le Temps de Lire» a dit quelque chose. J'ai été dans plusieurs conférences où souvent des professeurs d'université me remerciaient d'avoir créé cette rubrique, mais comme depuis quelque temps, je ne peux pas écrire, ils me disent «c'est dommage, on vous suivait et on faisait des copies de vos interventions». Moi ça ne me plaît pas parce qu'il faudrait que ce soit à eux de faire la critique des ouvrages et pas de me copier. Si Kaddour, en tant que Doyen, si vous avez un conseil à donner aux nouveaux romanciers, à ceux qui sont tentés par l'écriture, lequel serait-il? Soyez des éducateurs! Ce n'est pas facile, mais ça l'est quand on veut. Parce que j'estime que nous sommes dans une période très difficile où la jeunesse, moi je le sens, se sent perdue. Elle n'a pas de repères. Toute activité existant, soit dans le commerce, soit dans la culture, soit même dans les partis, doit être une activité d'éducation. Et l'éducation la plus profonde avec nos traditions, nos repères, notre histoire. Les contacts de famille ne se font plus. Les rencontres d'amis autour d'un thé ou d'un café ne se font plus. Il n'y a pas de lieu de rencontre pour s'exprimer, pour gagner une certaine dose de fraternité qui s'échange. Cela n'existe pas. Il n'y a plus d'échanges entre les gens! Il n'y a pas de rencontres. La presse, permettez-moi de le dire, chaque jour nous annonce un meurtre ou une agression. Ce n'est pas éduquer, ça. Il faut certes, l'annoncer, mais d'une autre manière. Le journaliste doit être un éducateur, le marchand de légumes doit être un éducateur car s'il vend des légumes, il doit savoir ce qu'il vend et doit amener son public à acheter. Il lui apprend comment l'utiliser. Vous croyez qu'on peut y arriver? On peut y arriver. Avec de la volonté, on peut y arriver. On est arrivé à remporter une grande victoire contre le colonialisme, on peut donc arriver à gagner une grande victoire contre nous-mêmes. Nous avons à nous combattre nous-mêmes. Nous avons à nous corriger nous-mêmes et accepter, pas les reproches, mais les conseils qu'on pourrait nous donner. Avez-vous quelque chose en préparation, un livre, des nouvelles? Oui, il y a un recueil qui est déjà paru. C'est un recueil de récits autonomes, titré «Le soleil en fin de journée». C'est une expression de ma défunte mère. A son âge très avancé, lorsque je lui demandais des choses, elle me répondait «je suis très vieille, je suis fatiguée, je ne peux rien faire, je suis comme le soleil de fin de journée». A mon âge, je suis devenu un petit peu comme elle, j'ai donc réuni un groupe de textes inédits et d'autres déjà publiés pendant la révolution, au début de l'indépendance et quelques-uns d'il y a trois ou quatre ans publiés chez nous ou dans d'autres pays. Donc et avec l'aide de mon petit-fils qui m'a permis de les retrouver et les mettre en forme, ce recueil a été publié à l'Office des publications universitaires, il sera d'ailleurs à leur stand. Un dernier mot? Je lance un appel à mes amis et je dirais même frères écrivains: soyez des éducateurs, ne soyez pas des critiques négatifs. Il ne faut pas non plus grossir les petits efforts et les petits succès que nous avons, mais il faut quand même en parler. Il faut que nous le fassions, que surtout les jeunes sachent qu'il y a un espoir, qu'on peut sortir de cette lenteur, à se dégager de cette espèce de marasme, de boue qui nous empêche de nous élever et de rêver à ce que nous aurions voulu être. Nous sommes un peuple équilibré, un peuple qui pense, un peuple qui réfléchit, un peuple créateur. Il faut le prouver. Que ce soit dans la presse ou dans les établissements scolaires ou dans les sociétés nationales ou dans l'agriculture ou dans la santé.