Moment émouvant qui a fait frémir la grande salle de conférences de la Maison de la culture. La ville de Tlemcen avait honoré en 1995 cheikh Mustapha Skandrani de son vivant, appliquant le proverbe populaire chanté admirablement par le regrétté Sadek El Bedjaoui «Ki kan hay kan yachtak Al anba, ki mat alkoulou ankoud bin aynih» traduction littérale: «lorsqu'il était vivant il n'avait pas droit à un grain de raisin, lorsqu'il est mort on lui suspendit une grappe devant ses yeux!» Ayant suivi de près l'hommage qui avait été rendu admirablement par Tlemcen, il y a dix ans, grâce aux bonnes volontés et l'expérience, de M.Boukli Hacène-Salah, directeur de la Maison de la culture à l'époque, M.Baghdadi Nasredine, actuellement collaborateur à la Chaîne III sur la musicologie, en particulier l'andalou et le chaâbi, et bien sûr les autorités locales, il est de mon devoir de parler de cet artiste modeste, réservé mais d'une culture générale et musicale qui impose le respect des connaisseurs d'un grand patrimoine de la musique andalouse léguée par nos ancêtres. Lors de cet hommage, le public tlemcenien, fin connaisseur, a vu l'oeuvre Si Mustapha s'associer et s'intégrer avec le groupe d'El Kortobia présidé par Salah Boukli, des Touchia, des Istikhbar, des Mseder, des Derdjs, et Inkhlas inédits, les organisateurs, il faut le dire, ont prévu le piano pour la circonstance. Les fins connaisseurs se sont régalés en cette soirée de 1995, dans la Maison de la culture Abdelkader-Alloula, en découvrant le chanteur blidéen Basri, notre ami Baghdadi Nasrredine, au luth interprétant des hawzis inédits, et Salah Boukli, maestro du Rbeb, successeur indiscuté du regretté Mustapha Belkhodja. Skandrani était fatigué, mais comblé de bonheur d'être entouré, choyé par les organisateurs de cette cérémonie en sa faveur et rien n'a été oublié. Djamel Bensari (décédé) fils de feu Redouane Bensari (fils du grand maître El hadj Larbi Bensari) a été appelé au moment de la cérémonie de remise des présents pour remettre la reconnaissance de la famille Bensari. Moment émouvant qui a fait frémir la grande salle de conférences de la Maison de la culture. Il y a eu aussi la remise de la reconnaissance à ce grand artiste qu'est Skandrani, l'hommage de Nassim El Andalou d'Oran. A l'hôtel des Zianides j'avais discuté avec ce monument de la chanson algérienne et je l'avais un peu taquiné en lui demandant pourquoi Alger n'a rien organisé pour toi. Feu Skandrani évite avec élégance de pareilles questions et me dira avec un sourire que je n'oublierai jamais : «cet hommage de Tlemcen, ville d'art, d'histoire, ville des grands cheikhs de la musique andalouse. Boudefla, Lazaï Ben Dali Yahia, Omar Bekhechi, Cheikha Tetma, Abdelkrim Dali, Cheikh Larbi Bensari et tous ses fils, Cheikh Sekkal, me comble de joie et les 17 noubas que j'ai enregistrées au piano sont le présent que je laisse à la postérité». La modestie, l'humilité de ce chef d'orchestre qui a parcouru l'Algérie du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, est entré dans toutes les familles algériennes grâce à la radio et la télé. La synchronisation avec laquelle il dirigeait l'orchestre andalou et chaâbi de la Radio puis l'Entv était une fierté pour l'Algérie après l'indépendance et jusqu'à sa maladie. Les chanteurs qu'il a lancés et fait connaître au public algérien sont là pour témoigner de sa rigueur, de son doigté, de son savoir-faire, ils ont pour noms, Guerrouabi, Hassan Saïd, Chaou, Chercham, Nouri Kouffi, et d'autres qui nous excuseront de ne pas les citer. Notre ami Tewfik Benghebrit, ancien directeur de la culture de la wilaya de Tlemcen, chanteur émérite du hawzi et de l'andalou, me confiera «qu'il n'oubliera jamais la soirée jouée lors d'un mariage à Tlemcen et où Skandrani s'est déplacé personnellement pour consolider cette amitié qu'il avait pour la jeune génération qui a suivi les traces des grands cheikhs en jouant les textes musicaux du patrimoine. Cette soirée merveilleuse qu'on a jouée ensemble, Si Mustapha au piano et moi au luth, était un véritable récital. Mes sincères condoléances à sa famille et aussi à sa famille artistique qui a perdu un monument de la musique du terroir».