Le rapport Mehlis de l'enquête onusienne sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais n'en finit pas de faire des vagues. En fait, les répliques à venir de ce véritables séisme dans le landernau politique libano-syrien risquent d'induire des conséquences à trois niveau au moins: au Liban même, où le président Emile Lahoud est mis dans une position très difficile, en Syrie où le régime baâssiste se trouve aujourd'hui sur la défensive, enfin sur les relations entre le Liban et la Syrie, marquées par de vives tensions depuis le retrait des troupes syriennes du Liban en avril, tensions qui se sont aggravées depuis la publication du rapport Mehlis. A Beyrouth, l'affaire Hariri, risque de devenir «l'affaire Lahoud» -le président libanais- cité dans le rapport Mehlis. En effet, selon le texte du rapport, un des suspects, Mahmoud Abdel-Aâl, «a appelé le téléphone portable du président Emile Lahoud à 12h47, quelques minutes avant l'explosion» qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à 20 autres personnes. Le même correspondant aurait de nouveau appelé sur le portable du président libanais quelques minutes après l'attentat. Aussi, presse et politiques libanais attendent-ils des explications du président Lahoud. Celles apportées jusqu'ici par la présidence libanaise ont été estimées peu satisfaisantes, vagues et sans consistance. En avant-garde, la presse libanaise estime en effet que M.Lahoud est désormais dans une position délicate après la mise en cause des services de sécurité libanais qu'il avait sous sa responsabilité directe et aussi du fait de ses relations étroites avec Damas également pointées du doigt par le rapport de l'ONU. «Le rapport a montré l'implication des services de sécurité (libanais) dans le crime et l'emblème de ce système sécuritaire, le président Lahoud, est dans une position embarrassante. Il est un allié d'un Etat (la Syrie) soupçonné d'implication dans l'assassinat de Hariri», écrit le grand quotidien An-Nahar qui semble résumer quelque peu l'opinion générale qui prévaut à Beyrouth. De fait, dès la publication du rapport de l'ONU, les deux capitales y ont réagit différemment, Beyrouth se félicitant du travail de l'équipe Mehlis et estimant ce «rapport est à la hauteur des espérances des Libanais» selon le communiqué du gouvernement libanais qui l'a qualifié en outre d' «objectif et reflétant un haut professionnalisme». A contrario, Damas rejette globalement et dans le détail les attendus du rapport de l'ONU tout en réitérant sa disponibilité à «coopérer » avec la communauté internationale sur ce dossier comme le rappelait, Riad Daoudi, le conseiller juridique du ministère syrien des Affaires étrangères qui a déclaré : «Nous ne disons pas non à la coopération, mais il faut voir dans quelles conditions». Mais en réalité, la marge de manoeuvre de la Syrie est à tout le moins mince du fait même que durant près de trente années, Damas assumait le véritable pouvoir au Liban où rien ne pouvait se faire sans l'assentiment des services des renseignement syriens omniprésents au pays des Cèdres. L'autre point qui pourrait avoir des développements graves dans l'affaire Hariri est le fait que la version électronique du rapport Mehlis cite nommément des membres de la famille du président syrien, Bachar Al-Assad, ce qui ne manquerait pas d'avoir des retombées, tant sur le devenir du président Assad, mis ainsi en première ligne, que sur celui du régime baâssiste qui gouverne la Syrie. En dépit des dénégations de Damas, le malaise est perceptible en Syrie qui tarde à envoyer une réponse à l'ONU après la publication du rapport de l'enquête onusienne. Cependant, le président Assad a envoyé une lettre aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU qui a pour objet le rapport Mehlis, a annoncé hier la télévision syrienne sans en mentionner le contenu. Le fait est que le rapport est plutôt accablant pour la Syrie alors que le président Bachar Al-Assad n'a cessé d'affirmer que son pays était à «100% innocent». Dans un communiqué publié dimanche, la plus haute instance politique de la Syrie, le Front national progressiste (NPF, qui regroupe huit partis politiques sous la houlette du Baas), affirme, cité par l'agence Sana, que le rapport d'enquête impliquant la Syrie dans l'assassinat de Rafic Hariri a «déformé la vérité» et contient des «contradictions». Le NFP qui déclare que «les parties qui tentent de porter atteinte à la Syrie utiliseront les questions politiques contenues dans le rapport» indique d'autre part que «le texte est basé sur des témoignages de personnes manquant totalement de crédibilité (...) et connues pour leur hostilité envers la Syrie». Mais la situation ayant vraisemblablement atteint le point de non-retour, la Syrie doit sans doute donner des explications plus appropriées que des dénégations convenues. De fait, fort des conclusions de la mission d'enquête de l'ONU dirigée par le procureur allemand, Detlev Mehlis, le député Saâd Hariri, fils de l'ancien Premier ministre assassiné, a demandé samedi la mise sur pied d'un tribunal international pour juger les coupables, indiquant: «Nous voulons que les coupables soient jugés devant un tribunal international». Selon M.Hariri, «les résultats de l'enquête internationale ne peuvent faire l'objet d'aucun compromis parce que le sang du peuple libanais et le sang de Rafic Hariri ne peuvent faire l'objet d'aucun compromis». Selon lui, cette enquête a déjà donné des «résultats importants» comme «la chute du régime sécuritaire (au Liban) et l'emprisonnement de plusieurs de ses symboles». Saâd Hariri affirme cependant que l'implication présumée de responsables syriens dans l'assassinat de son père ne va pas nuire aux relations entre les peuples syrien et libanais. Relations qui se trouvent toutefois au plus bas depuis justement l'assassinat de Rafic Hariri. Au plan diplomatique, la France, qui a joué un grand rôle dans le retrait syrien du Liban, a, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, souhaité une résolution du Conseil de sécurité qui «exige» de Damas une «pleine» coopération dans l'enquête sur l'assassinat de Hariri. «La France souhaite que les travaux du Conseil de sécurité s'engagent et permettent d'aboutir rapidement à un accord sur un texte de résolution dont nous espérons qu'il pourra être adopté à l'unanimité», a dit hier M.Douste-Blazy lors d'une conférence de presse. Il faut «exiger des autorités syriennes qu'elles apportent toute leur collaboration à cette enquête et s'engagent à collaborer pleinement avec la commission (du magistrat allemand Detlev) Mehlis», a-t-il souligné.