Des gestes et des mots Le leader chinois s'est fait le chantre du multilatéralisme en s'attaquant frontalement au «protectionnisme et à l'unilatéralisme». Les dirigeants de l'Asie-Pacifique ne sont pas parvenus à réconcilier leurs différences, hier, à Port Moresby lors d'un sommet marqué par une passe d'armes incisive entre la Chine et les Etats-Unis, sur fond de lutte d'influence dans la région. Pour la première fois, les dirigeants des 21 pays de la Coopération économique Asie-Pacifique (Apec) ne sont pas parvenus à un consensus sur une déclaration écrite commune, en raison du fossé qui sépare les deux premières économies au monde sur les règles du commerce international, notamment. Son homologue canadien Justin Trudeau a observé que «quelques pays étaient en désaccord sur certaines approches au niveau du commerce, dont les Etats-Unis et la Chine entre autres». Selon certaines sources, les Etats-Unis avaient poussé les autres Nations en amont du sommet à accepter une déclaration qui se serait apparentée à une dénonciation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et à un appel à la réforme profonde de cette organisation multilatérale. Une exigence inacceptable pour Pékin, qui aurait beaucoup à perdre à une telle refonte. M. O'Neill a nié que l'absence de déclaration commune puisse être gênante pour l'Apec ou pour son pays qui organisait pour la première fois un tel round. Les divergences de Port Moresby n'augurent cependant rien de bon pour le prochain sommet du G20, à la fin du mois, en Argentine, où le président chinois Xi Jinping fera face cette fois au président américain Donald Trump. Avant même le début du sommet, le ton avait été donné par Xi Jinping et Mike Pence. Le vice-président américain avait appelé les pays de la zone à se ranger derrière les Etats-Unis et à ne pas céder aux sirènes d'une diplomatie chinoise fonctionnant à coups de prêts financiers aux conditions «au mieux opaques». «Nous ne noyons pas nos partenaires dans une mer de dettes», s'est-il emporté à la tribune d'un forum de chefs d'entreprise. «Nous ne contraignons pas, nous ne corrompons pas, nous ne compromettons pas votre indépendance.» Quelques minutes plus tôt, M. Xi, vedette incontestée du sommet en l'absence de M. Trump et de Vladimir Poutine, avait défendu le titanesque programme d'investissements eurasiatiques dit des «Routes de la soie» promu par son pays, en expliquant qu'il ne s'agissait «pas d'un piège comme l'ont présenté certains». Malgré ces discours musclés, le sommet en lui-même s'est déroulé sans accroc, les dirigeants posant pour la traditionnelle photo de famille, vêtus cette année de chemises jaunes ou rouges à motifs. Comme pour démentir tout désengagement américain face à une Chine de plus en plus présente dans la région, les Etats-Unis ont annoncé un projet conjoint avec l'Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande. Il vise à accélérer l'électrification de la Papouasie, avec l'idée de faire passer de 13 à 70% la proportion de la population ayant le courant. La Papouasie est un des théâtres de la bataille d'influence que se livrent les Etats-Unis et la Chine dans le Pacifique. M. Xi a d'ailleurs inauguré à Port Moresby un «Boulevard de l'Indépendance» financé par Pékin. Washington, et Pékin dans la foulée, ont imposé ces derniers mois des droits de douane punitifs à leurs importations mutuelles, mais l'excédent commercial chinois bat record sur record. Le leader chinois s'est fait le chantre du multilatéralisme en s'attaquant frontalement au «protectionnisme et à l'unilatéralisme». M. Pence a répliqué que Washington ne céderait rien sur sa stratégie douanière «tant que la Chine n'aura pas changé son attitude». En coulisses, certaines voix s'inquiètent des répercussions que pourrait avoir sur les économies de l'Apec la rivalité sino-américaine.