En démissionnant du Likoud, Sharon a soigneusement mis au point son coup de théâtre pour mieux rebondir. Se trouvant sur une corde raide dans son parti, le Likoud, et à la lutte avec ses « durs » et ses caciques - qui lui mènent la vie dure depuis sa décision de faire évacuer les colons et l'armée israélienne de la bande de Ghaza - Sharon a créé un coup de théâtre en démissionnant hier de son parti de toujours. Mais c'est là une démission en trompe-L'oeil qui va en fait permettre au Premier ministre israélien, de plus en plus mal à l'aise et contesté au Likoud, de se relancer en créant son propre parti de centre droit, auquel, selon des rumeurs à Tel-Aviv, il y associera son grand rival travailliste, Shimon Peres lui aussi évincé de la présidence du Parti travailliste, par Amir Peretz, secrétaire général de la centrale syndicale Histadrouth, lors des élections qui ont eu lieu au sein de ce parti la semaine dernière. Ce sont ainsi deux vieux politiciens au long cours de la vie politique israélienne qui sont ainsi remis en cause par leurs partis respectifs. Aussi, la sortie spectaculaire de Sharon du Likoud est en fait un coup de poker destiné à remettre ce cacique de la politique israélienne sur l'orbite du pouvoir. Et puis, Sharon - dont les fils Omri et Gilad, sont mis en examen dans une sombre affaire de corruption dans laquelle trempe également l'ex-leader du Likoud - avait besoin de se ressourcer et de prendre ses distances avec un parti qui, en vérité, lui a tout donné singulièrement pouvoir et considération, mais qui conteste, de plus en plus, son autoritarisme et sa manière unilatérale de mener les affaires de l'Etat. De fait, cette affaire de corruption, dans laquelle est impliqué le chef du gouvernement a largement empoisonné la vie politique israélienne ces derniers mois. Aussi, le commentaire de l'un des «durs» du Likoud, après l'annonce du retrait de Sharon de ce parti, est significative de l'atmosphère qui est celle du parti de la droite israélienne. Ainsi, Uzi Landau, un des durs du Likoud a eu ces mots sans équivoque envers son ancien président, s'attaquant frontalement à Sharon. «Si Sharon nous quitte, c'est la corruption qui quitte le Likoud» ajoutant de manière convenue «le Likoud va devenir propre». En fait, les événements se sont précipités ces derniers jours en Israël marqués par l'arrivée à la tête du Parti travailliste d'Amir Peretz, lequel, tout en réclamant des élections anticipées, a également décidé dimanche de retirer son parti de la coalition gouvernementale de Sharon. De fait, Sharon devenu en quelque sorte persona non grata au Likoud veut retirer, auprès de l'opinion publique israélienne - qui l'a suivi et soutenu dans l'affaire du retrait de la bande de Ghaza - tout le bénéfice de cette opération et de se relancer politiquement en menant aux prochaines élections, prévues en février-mars, le parti de centre-droite qu'il compte créer. Evidemment la question qui se pose, après les bouleversements politiques qui se sont opérés en Israël, est de savoir quelles en seront les retombées sur le processus de paix dans le Proche-Orient en général et dans les territoires palestiniens occupés singulièrement. Malgré les turpitudes qui s'attachent à sa vie politique - dont le dernier en date est le scandale de la corruption qui l'éclabousse lui et ses fils - Ariel Sharon a toujours su sentir d'où venait le vent agissant en dernier ressort dans son intérêt politique bien compris. Ainsi, la décision de retrait de la bande de Ghaza - tout en entrant en ligne avec la sécurité d'Israël et les recommandations de la communauté internationale - relançait un homme politique quasiment au bout du rouleau et politiquement au bord du précipice. L'évacuation de la bande de Ghaza - une opération approuvée par la majorité de la population israélienne qui va de fait dans le sens de la paix entre les communautés juive et arabe - a été un coup de maître qui a fait oublier, un temps, les scandales de la corruption dans lesquels était impliquée la famille Sharon. C'est encore Sharon - ministre alors ministre de la Défense à l'époque - au creux de la vague au lendemain des crimes commis contre les Palestiniens au Liban -massacres aux camps de Sabra et Shatila - qui retournera la situation en sa faveur en imposant le retrait de l'armée israélienne du Sinaï contre l'avis des caciques et des durs du Likoud, concrétisant l'un des points de l'accord de Camp David (de 1979) avec l'Egypte. Ayant un sens aigu des situations conflictuelles et fin analyste politique, Sharon a toujours eu une pensée d'avance sur ses partenaires et concurrents politiques israéliens lui donnant de prendre les décisions qu'il faut au moment qu'il faut comme le montrent les deux décisions les plus importantes prises par Israël dans son conflit avec les Arabes: les retraits successifs du Sinaï et de Ghaza, retraits réalisés contre l'avis de la majorité des politiques israéliens, ce qui a permis à Sharon de conjuguer l'intérêt supérieur de l'Etat avec ses propres intérêts particuliers. De fait, Sharon sait pertinemment - malgré sa politique de morcellement des territoires et d'isolement des Palestiniens - que la sécurité d'Israël est intimement liée à l'existence d'un Etat palestinien qui est le seul en fait apte à protéger l'Etat hébreu, que la coexistence des deux Etats, juif et arabe, reste la condition sine qua non de la sécurité et de la paix pour Israël. Aussi, le retrait de Ghaza n'a pas été le fait d'une lubie mais entre de plain-pied avec le devenir, à long terme, d'Israël, prenant de l'avance sur les politiques israéliens, obnubilés par le Grand Israël, qui n'arrivent pas à comprendre que la survie d'Israël dépend de l'existence à ses côtés de la Palestine. De fait, c'est seulement dans cette perspective - pour les futurs dirigeants d'Israël - d'aller plus loin dans l'application de la Feuille de route - qui prévoit la création, à terme, de l'Etat palestinien - que le coup d'éclat de Sharon aura alors un sens.