Tout nouveau, tout beau, dit l'adage. Ainsi, beaucoup d'hommes politiques israéliens se ruent vers le nouveau parti de Sharon. En rompant avec le Likoud, et en créant son propre parti, dans la perspective de se relancer politiquement, Ariel Sharon, actuel chef du gouvernement, semble avoir fait coup double et surtout avoir bouleversé la donne politique israélienne en donnant un certain coup de fouet à une classe politique israélienne qui n'a pas su se renouveler, ni s'adapter à un monde en constante évolution, scotchée qu'elle est à la vision passéiste et peu productive « d'Eretz Israël » (Grand Israël) qui reste l'un des obstacles tant à la paix au Proche-Orient qu'à l'édification d'un Etat palestinien indépendant vivant aux côtés de l'Etat juif. Adversaire acharné de toujours d'un Etat palestinien, Sharon semble (enfin?) avoir admis une telle issue en se ralliant, certes sur le tard, à une perspective - la création de l'Etat palestinien - en vérité incontournable et seule en fait apte à donner à l'Etat hébreu de vivre en paix et en sécurité, ce vers quoi ont tendu tous les efforts des Israéliens ces dernières années. - Ainsi, le nouveau parti d'Ariel Sharon, ‘'Kadima'' (En Avant, en hébreu) rompant avec une ligne officielle, qui de tout a été celle des gouvernants d'Israël, s'est ouvertement prononcé pour la création d'un Etat palestinien indépendant, même s'il y a cette réserve qu'il soit «démilitarisé». Cette position qui rejoint - par nombre de ses points - celle exprimée, ces dernières années par des leaders de gauche et certains responsables du parti travailliste - singulièrement par son ex-leader Shimon Peres, cosignataire avec Itzhak Rabin et Yasser Arafat des accords d'Oslo de 1993 - a suscité ces derniers jours une vague de défections dans les rangs du Likoud d'abord, du parti travailliste ensuite, dont deux députés ont rejoint hier ‘'Kadima'' alors qu'il ne fait plus de doute pour les analystes israéliens que Shimon Peres, gourou travailliste de toujours, ne va pas tarder à annoncer sa venue au nouveau parti. De fait, ‘'Kadima'' caracole en tête des sondages et semble devoir faire la razzia lors des législatives du 27 mars prochain. C'est un peu paradoxal de relever que l'homme qui a fait le plus de mal aux Palestiniens (cf; l'épisode sanglant de Sabra et Chatila en 1982), semble en passe de devenir celui par lequel la paix puisse un jour s'établir au Proche-Orient. Certes, la politique à ses raisons que la raison ignore, mais, contrairement aux caciques du Likoud, Sharon - qui a été celui qui mit en application les accords de Camp David de 1979 avec l'Egypte (ça mérite d'être rappelé) - outre son charisme personnel a toujours eu une coudée d'avance sur des dirigeants israéliens maladivement attachés à une vision rétrograde de la paix au Proche-Orient qui a montré ses limites depuis la première guerre israélo-arabe de 1948. La solution du conflit israélo-palestinien ne peut être militaire - 57 ans de guerre sont là pour en attester - doit, d'une manière ou d'une autre, trouver son issue par la négociation avec les Palestiniens. Ce que semble avoir compris Sharon qui a pourtant été celui qui promettait de parquer les Palestiniens dans des «bantoustans», qui, last but not least, se résigne au fait qu'Israël - en dépit de sa puissance militaire incommensurable - ne peut pas imposer aux Palestiniens sa «politique», ni sa «solution». Le pari de Sharon va de fait dans le sens de ce que réclame le peuple israélien : la paix. Et cette paix, avec comme résultante la sécurité pour la communauté juive, ne peut se négocier qu'avec les Palestiniens. C'est là une vérité que nombre d'hommes politiques israéliens de gauche n'ont cessé de répéter depuis des années sans qu'ils soient écoutés par les gouvernants israéliens. Sans affirmer que Sharon ait fait sienne cette maxime de la gauche israélienne, il n'en reste pas moins que le fait que ‘'Kadima'' intègre dans son programme la création d'un Etat palestinien (même si on y note certaines restrictions, comme la démilitarisation, la question de Jérusalem-Est ou les colonies de Cisjordanie) constitue un progrès et peut être considéré comme une avancée notable de la pensée politique d'Ariel Sharon, étant entendu que la mise en application d'un tel programme, qui ne peut être unilatérale, reste - en tout état de cause - une question de négociation avec les Palestiniens. Ainsi, se référant à l'expérience de Ghaza, le programme de ‘'Kadima'' indique que «le plan de retrait (de la bande de Ghaza achevé en septembre) a fourni des occasions pour reprendre le processus politique dans le cadre de la Feuille de route», référence appuyée au plan de paix international (supervisé par le quartette -USA, UE, ONU et Russie -) demeuré jusqu'ici lettre morte du fait des obstacles auxquels il s'est heurté, singulièrement du fait du refus de Sharon d'en appliquer certains articles, notamment le gel de la colonisation en Cisjordanie à Ghaza (avant le retrait en septembre de ce territoire palestinien), tout comme la construction de la «barrière» de sécurité condamnée par l'Assemblée générale de l'ONU et considérée comme illégale par la Cour internationale de justice (CIJ). Mais il ne fait pas de doute aussi qu'il faudra attendre la prochaine campagne électorale israélienne pour évaluer jusqu'à quel point Sharon est effectivement engagé à faire la paix avec les Palestiniens.