Le lobby américain pro-Israël Aipac a contribué pendant des décennies à assurer à l'Etat hébreu le soutien indéfectible des Etats-Unis, mais il fait aujourd'hui l'objet d'un inhabituel clivage entre les partis à Washington. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, à deux semaines seulement des élections législatives dans son pays, s'est déplacé à Washington afin de participer à la conférence annuelle de l'Aipac, qui débutait hier dans la capitale américaine. On n'y voyait en revanche aucun des nombreux candidats démocrates à la présidentielle de 2020. Certains ont avancé un agenda trop serré, d'autres n'ont pas donné de raison. Un membre de l'équipe du sénateur socialiste Bernie Sanders, qui est juif, a mis en cause la plateforme offerte par l'Aipac à «des responsables ayant fait preuve de sectarisme et s'opposant à une solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien. Le président Donald Trump, qui recevra M. Netanyahu à Washington en début de semaine, a vertement critiqué l'absence des démocrates à la conférence: «Ils sont complètement anti-Israël. Franchement, je pense qu'ils sont anti-juifs». Le milliardaire a adopté depuis son arrivée à la Maison-Blanche une politique de soutien outrancier à Israël, de la reconnaissance d'El Qods comme capitale de l'Etat hébreu à sa ligne dure envers l'Iran, en passant par le soutien apporté jeudi à la prétendue souveraineté israélienne sur le plateau du Golan occupé, territoire conquis lors de la guerre des Six Jours en 1967. Les juifs américains penchent cependant traditionnellement à gauche: seuls 24% d'entre eux se disaient satisfaits de Donald Trump dans un récent sondage de l'institut Pew. «L'Aipac est dans une position difficile, car c'est censé être la voix de la communauté pro-Israël, mais en réalité, la communauté juive américaine dans son ensemble est opposée au gouvernement d'Israël, ainsi qu'à celui des Etats-Unis», estime Jeremy Ben-Ami, président de l'organisation progressiste juive J Street. Les démocrates n'ont pas tous tourné le dos à l'Aipac. Tandis que les candidats à la présidentielle boudent sa conférence, leurs deux plus hauts responsables au Congrès américain -Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, et Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat- seront eux bien du rendez-vous quand bien même la démocrate Ilhan Omar, seule élue du Congrès à porter le voile islamique et l'une des deux premières femmes musulmanes à y siéger, a récemment fait polémique pour avoir affirmé que le soutien américain à Israël était alimenté par des financements de l'Aipac, des propos jugés antisémites. Le puissant lobby pro-israélien se trouve à «un carrefour», selon Dina Badie, responsable du programme d'études internationales à l'université Centre College, dans le Kentucky. «L'Aipac n'a pas changé (...) Ce qui a changé est la situation et l'environnement politique dans lequel il évolue», avance-t-elle, évoquant les divisions croissantes au sein de la société américaine et l'ancrage dans l'extrême droite pris par Benjamin Netanyahu, qui s'est aliéné au passage les sympathisants de gauche américains, juifs compris. Jeremy Ben-Ami, de J Street, juge déplacées les accusations d'antisémitisme à l'encontre de l'élue démocrate Ilhan Omar. Pour lui, «le vrai visage menaçant de l'antisémitisme ne vient pas de la gauche, mais de la droite». «Et ce n'est pas le cas seulement ici, mais dans le monde entier, de la part d'autocrates et de nationalistes soutenus non seulement par Trump, mais aussi Netanyahu», dénonce-t-il. L'auteur de la fusillade qui a fait 11 morts en octobre dans une synagogue de Pittsburgh ciblait notamment une association juive d'aide aux réfugiés, qu'il qualifiait d'envahisseurs».