Le président français en décidant de créer une «mission pluraliste» sur la question de la colonisation tente de désamorcer la crise avec Alger. Après la vague de remous qu'a provoquée la loi du 23 février, qui fait l'apologie du «rôle positif» de la colonisation outre-mer et en Afrique du Nord, votée par le Parlement français, et la polémique qui s'en est suivie entre Alger et Paris, le président français Jacques Chirac est monté jeudi au créneau tentant de calmer les choses afin, entre autres, de désamorcer la crise patente avec Alger -qui met notamment en péril le traité d'amitié devant lier l'Algérie et la France- en annonçant la création d'une «mission pluraliste» devant plancher sur l'action du Parlement face à l'Histoire. La situation s'est quelque peu compliquée ces derniers jours après la confirmation le 29 novembre, par la majorité du Parlement - dominé par l'UMP le parti de M.Chirac - de l'article 4 controversé de la loi du 23 février par le rejet d'une éventuelle abrogation demandée par le Parti socialiste français. Dans son intervention de jeudi, M.Chirac a indiqué qu'il serait «très attentif» aux recommandations de cette «mission» ouverte, souligne-t-il, «à toutes les sensibilités» et aux historiens. Ces derniers ont de fait été les premiers à dénoncer la prétention du Parlement français à «orienter» l'écriture de l'Histoire enseignée dans les écoles et les lycées. La mission installée jeudi par le chef de l'Etat français doit rendre ses conclusions, indique-t-il, d'ici à trois mois. Selon les observateurs français, l'éventualité de la suppression de l'article 4 controversé de ladite loi reste ainsi d‘actualité. Dans une déclaration solennelle faite jeudi à l'Elysée, résidence de la présidence française, Jacques Chirac a affirmé que «ce n'est pas à la loi d'écrire l'Histoire». «L'Histoire, a-t-il indiqué, c'est la clé de la cohésion d'une Nation, mais il suffit de peu de choses pour que l'Histoire devienne un ferment de division, que les passions s'exacerbent, que les blessures du passé se rouvrent». Le président français qui a observé, ces dernières semaines, sinon le mutisme du moins une certaine distanciation par rapport au débat, a expliqué que «dans la République, il n'y a pas d'Histoire officielle. Ce n'est pas à la loi d'écrire l'Histoire, l'écriture de l'Histoire, c'est l'affaire des historiens». Aussi, souligne-t-il «c'est pourquoi face au débat suscité par l'article 4 de la loi du 23 février 2005, j'ai proposé au président de l'Assemblée nationale, M.Jean-Louis Debré, qui l'a accepté, de constituer une mission pluraliste pour évaluer l'action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l'Histoire». Par ailleurs, le chef de l'Etat français a invité le gouvernement à créer «dans les meilleurs délais» la Fondation sur la mémoire, prévue à l'article 3 de la loi sus-citée. L'article 4 de la loi du 23 février relative à l'indemnisation des rapatriés, notamment des harkis, stipule que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord». La majorité parlementaire a refusé le 29 novembre de supprimer cette disposition qui a été ajoutée, rappelle-t-on, par un amendement parlementaire de la majorité UMP. Alger qui a condamné la loi du 23 février y voit une apologie manifeste et scandaleuse de la colonisation et des crimes qu'elle a commis -au nom de l'Etat français- notamment en Algérie. De fait, cette « loi de la honte » telle qu'elle est qualifiée à Alger, a également rattrapé l'un de ses initiateurs, Nicolas Sarkozy, -ministre de l'Intérieur et patron de l'UMP parti de la droite (majoritaire au Parlement)- qui a été contraint, mercredi, d'annuler le déplacement qu'il avait prévu de faire aux Antilles, ces «départements français» d'outre-mer où on lui a fait savoir qu'il n'était point le bienvenu. Ainsi, ce ne sont pas seulement les Algériens qui ont mal perçu cette loi rétrograde et réactionnaire mais bien tout les peuples qui ont eu souffrir du joug de la colonisation et à connaître de la «civilisation» de la matraque des colons français. De fait, cette affaire a eu des retombées négatives sur la cohésion de la majorité au pouvoir en France en commençant à diviser ses rangs. Ainsi, le Premier ministre, Dominique de Villepin, s'est désolidarisé jeudi des élus de la majorité en estimant qu'il n'était pas dans «le rôle» du Parlement d'écrire les manuels d'Histoire et que cette mission incombait à l'Inspection générale de l'éducation nationale. Le président Chirac a par ailleurs estimé que «comme toutes les nations, la France a connu la grandeur, elle a connu les épreuves. Elle a connu des moments de lumière et des moments plus sombres». Faisant de toute évidence référence aux remous et polémiques autour de la loi incriminée, Jacques Chirac affirme: «C'est un héritage que nous devons assumer tout entier, que nous devons assumer dans le respect des mémoires de chacun, des mémoires parfois blessées et qui constituent chez beaucoup de nos compatriotes une part de leur identité» et d'ajouter que la France, «est marquée par la diversité des hommes et des horizons qui font sa force et aussi sa richesse». «Cette Histoire, c'est notre patrimoine, c'est notre identité, c'est notre avenir. Nous devons en être fiers» Et le chef de l'Etat français de conclure: «Il faut maintenant que les esprits s'apaisent, il faut que vienne le temps d'une réflexion sereine, dans le respect des prérogatives du Parlement, dans la fidélité à nos idéaux de justice, de tolérance et de respect, dans un esprit d'unité et de rassemblement.» .