Un mouvement qui a ébranlé l'un des régimes les plus solides au monde depuis ces cinquante dernières années, n'arrive pas à sécréter en son sein un leader capable de parler en son nom. L'incroyable révolte pacifique menée par une jeunesse pétillante à travers tout le pays, est-elle déjà détournée? Quand on ne voit que des figures anciennes écumer les plateaux des chaînes de télévision et noircir les pages des journaux, on est frappé par l'absence de ce sang neuf voulu par le peuple et sa jeunesse insurgée. Le paradoxe est saisissant: un mouvement qui a ébranlé l'un des régimes les plus solides au monde depuis ces cinquante dernières années, n'arrive pas à secréter en son sein quelques figures juvéniles capables de négocier en son nom la transition pacifique tant souhaitée. Vaste mouvement sans ligne idéologique, sans direction politique, le Hirak peut-il rester sans représentants ni représentations? Est-il incapable de se constituer en une force politique structurée, repérable dans l'espace et dans le temps? Des questions qui méritent d'être posées car ce «vide» laissé dans les médias est vite occupé par les anciennes figures, des anciens opposants aigris qui avec des recettes éculées font à leur manière le procès du système. Dans cet appétit médiatique, ils ne ratent pas l'opportunité de soigner leur image de démocrates convaincus sans rides et sans taches. La transition démocratique vers la nouvelle Algérie va-t-elle réellement se faire avec ces figures étiolées? «S'il faut aujourd'hui se défaire des anciens réflexes, il faut commencer par les médias», rectifie Ziyidir, cyberactiviste convaincu. «Quand un journaliste a besoin d'un avis sur le Hirak, il obéit à des réflexes pavloviens: il a des numéros de téléphone de figures qui se relaient sur les plateaux de télé, il les appelle et ils refont le monde donnant l'impression qu'ils sont les représentants du Hirak, or explique Ziyidir, «les jeunes du Hirak carburent au 2.0 tandis que ces messieurs ne savent même pas faire fonctionner un smartphone», avant de trancher «les vrais leaders existent, ils sont dans la rue». Les jeunes détiennent le puissant pouvoir de la rue, car l'émergence du peuple dans l'espace public est en effet double: il occupe la rue, c'est très visible et «colonise» les réseaux sociaux, c'est très porteur. «Le moindre post, la moindre vidéo d'un jeune a dix fois plus d'impact qu'un homme politique qui pérore pendant une heure sur un plateau de télévision ou une page d'un journal. Hélas! ils n'ont pas compris cet enjeu», regrette ce cyberactiviste avouant qu'avec ses 5000 amis sur les réseaux sociaux «je dépasse l'état organique des plus influents partis politiques». L'affaire de l'Algérien basée à Londres, qui a menacé d'asperger d'acide les femmes qui se rendraient à la manifestation est éloquent: «A partir de la Grande Poste à Alger il y a dépôt de plainte, il a été identifié et arrêté depuis hier. Vous voyez le pouvoir de la rue?», interroge triomphant Ziyidir. Dans cette deuxième phase cruciale du processus révolutionnaire, il y a en effet un réel problème d'accès aux moyens, de communication. Exclus, marginalisés du monde médiatique conventionnel, les jeunes ont réinventé leur propre monde.