L'article 102 n'est pas susceptible de faire l'unanimité En laissant filer les semaines sans engager un processus fiable, le pays perdrait en stabilité et en sécurité. Ce qui fragiliserait l'Etat. Proposé dans un premier temps par les partis de l'opposition et relancé par l'ANP en pleine mobilisation populaire contre le cinquième mandat, l'activation de l'article 102 de la Constitution a été concrétisée, hier, par un vote majoritaire du Parlement, réuni en ses deux chambres. Cette issue constitutionnelle à la crise que traverse le pays garantit un retour «balisé» à la légalité constitutionnelle, en ce sens que les mécanismes convoqués, pour ce faire, sont déjà identifiés et ne souffrent d'aucune approximation dans l'interprétation du processus. Le chemin est on ne peut plus clair: le président de l'Etat qui voit ses prérogatives réduites au maximum, n'a d'autre fonction que celle d'organiser une élection présidentielle. Le gouvernement qui mettra en pratique le processus électoral est, lui aussi, totalement «ligoté» par la Constitution et ne peut prendre aucune initiative qui sortirait des «affaires courantes». Ce sont là les «clous» réglementaires qui permettront, en principe, à l'intérim de Bensalah de finir dans les 90 jours qui suivent sa désignation à la tête de l'Etat. Il reste, cependant, que les conditions de cet intérim sont exceptionnelles. Bensalah ne jouit pas de la confiance des partis et personnalités de l'opposition, à l'exception du Front El Moustakbel et du général à la retraite Ali Ghediri. Pointé du doigt par une opinion nationale remontée contre le système, le chef de l'Etat devra tout de même trouver le moyen de faire passer le programme pour lequel il a été désigné, même si la Constitution ne lui laisse que très peu de marge. Il se trouve que paradoxalement, Bensalah pourrait trouver auprès des Algériens, les meilleurs contrôleurs de la présidentielle. Objectivement, comme le soutient d'ailleurs Abdelaziz Belaïd, il est tout à fait dans les cordes du mouvement populaire de se déployer sur le terrain pour assurer une surveillance étroite du scrutin. Le Code électoral encourage les citoyens à prendre part à toutes les étapes du processus. Il est, de ce fait, possible avec un minimum d'organisation à l'échelle populaire, d'assurer la substitution de la Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise). Cette perspective est d'autant plus salutaire pour la révolution qu'elle symbolise la reprise en main par le peuple de l'urne, seul arbitre universellement reconnu. Cela en sus de la garantie qu'elle apporte en matière de gain de temps. En laissant filer les semaines sans engager un processus fiable, le pays perdrait en stabilité et en sécurité. Ce qui fragiliserait l'Etat. Cette option, pourtant facilement envisageable, n'a visiblement pas traversé les esprits des politiques qui continuent à militer pour une instance indépendante du système et un gouvernement d'union nationale ou de compétences pour conduire une transition que tout le monde voudrait courte, sans que personne n'apporte la garantie formelle d'un délai raisonnable, entre 3 et 9 mois au plus. C'est dire que la réponse constitutionnelle, pour efficace qu'elle paraisse, se heurte à une réalité politique qui la rend quasi impossible à mettre en oeuvre en l'absence d'un consensus au sein de la scène nationale. Même si la proposition de Ali Benflis donne l'impression d'être la plus proche du modèle constitutionnel, elle n'en est pas moins conditionnée par le sacro-saint consensus aujourd'hui très difficile à obtenir, entre le recours à l'article 102, d'un côté et une multitude de plans de sortie de crise élaborés par autant de partis et de personnalités de l'opposition. Cela pour dire que l'activation de la solution strictement constitutionnelle n'est visiblement pas la panacée. Et au vu des premières réactions à la désignation de Bensalah à la tête de l'Etat, il y a fort à parier que la rue enfonce le «clou» du refus, mettant, à partir de vendredi prochain, les pro et les anti-article 102 face à face, dans un bras de fer, que seul un vrai dialogue politique pourrait dénouer. Déjà l'on perçoit quelque velléité dans ce sens, d'abord à travers le plan de Benflis, ensuite par l'appel du pied de Soufiane Djilali. Les autres «têtes» de l'opposition qui lancent des signaux positifs pourraient au final trouver un terrain d'entente avec l'institution militaire pour engager une transition rapide et sereine, au grand bénéfice de l'Algérie. En attendant, on peut d'ores et déjà affirmer que même si c'est une issue valable à la crise, l'article 102 n'est pas susceptible de faire l'unanimité dont il a besoin pour se poser comme la solution définitive. Au final, dans ce feuilleton à rebondissements, celui qui a le plus mauvais rôle, est immanquablement Bensalah qui vit dans une grande solitude.