«Nos artistes doivent être en phase avec ce qui se passe dans le monde, qu'ils aient le même dialogue et se comprennent.» Sur invitation de Patrick Michel, nouveau directeur du CCF (Centre culturel français), Christian Gaussen, directeur de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Montpellier, Slimane Raïs, artiste plasticien et associé à l'Ecole d'art de Grenoble, ainsi qu'un certain nombre d'autres directeurs d'école d'art étaient, la semaine dernière, en Algérie pour évaluer l'état des lieux artistique, en perspective d'une planification d'un programme d'échanges réciproque. Il existe, en effet, nous apprend M.Gaussen, un réseau d'écoles d'art qui travaille avec les rives de la Méditerranée, de Monaco jusqu'à Perpignan, à savoir Marseille, Nice, Montpellier, Nîmes, Aix-en-Provence, Avignon, notamment qui font partie de ce réseau d'écoles. «Nous sommes venus pour évaluer comment fonctionne la question artistique ici en Algérie, rencontrer nos confrères à l'Ecole des beaux-arts et puis essayer de voir quel type d'activités nous pouvons mener en direction des jeunes artistes qui vivent ici ou même les étudiants en lien avec ceux que nous avons en France», soulignera-t-il. Les temps sont d'abord à la découverte et au dialogue pour voir ce qui serait intéressant à apporter comme contribution à l'épanouissement artistique des artistes des deux rives et ce, partant d'un travail déjà initié en Europe et dans le monde à partir des écoles d'art. Et pour accompagner ces étudiants dans leur cursus universitaire ou ces jeunes artistes sortants, une résidence a été créée, pour ce faire, qui est «dix écoles du réseau du Sud». Cette résidence se trouve à Berlin. Un comité de sélection autonome permet de sélectionner tous les mois, sur les dix écoles y afférentes, par exemple, quatre étudiants et les envoyer perfectionner leur projet à Berlin. «Détenteurs de projets, ces jeunes étudiants vont rencontrer en même temps d'autres artistes comme eux qui essayeront d'évoluer pour bâtir des connaissances pour être plus forts ensemble en ayant des projets en commun», confie M.Gaussen. Aussi, des expositions sont ainsi organisées dans les différentes villes d'où sont originaires ces étudiants. «Récemment, nous apprend M.Gaussen, on a poursuivi l'échange, dont des expositions à Vienne, de la même façon, nous avons accueilli des Bruxellois dans notre résidence. De même que nos artistes sont partis exposer dans le plus grand musée de Vienne, et des jeunes Viennois sont venus à Montpellier exposer leurs travaux.» Une même action a été lancée avec la Chine et le Brésil récemment. Lié à l'Algérie par le sang - son oncle était algérien -, M.Gaussen noue une relation particulière avec l'Algérie qui possède, faut-il le rappeler, une histoire commune avec la France. Mais au-delà de cet attachement affectif, nous souligne M.Gaussen: «On est là pour l'art. On s'intéresse aux compétences, aux apports que ces artistes peuvent donner à notre culture. On a tous besoin d'avoir des gens qui nous tendent des miroirs. Je suis ravi d'avoir des artistes qui viennent du Maghreb, de la Turquie et d'autres horizons». Et Slimane Raïs de relever pour sa part: «Je suis un Algérien qui vit et travaille à Grenoble. Mon intérêt dans cet échange auquel j'ai répondu volontiers est de savoir comment aujourd'hui dans cette phase de mutation qui se fait au niveau des écoles d'art, non seulement des Beaux-Arts d'Alger, mais aussi les annexes qui sont à Constantine, Oran, Mostaganem, Annaba, s'opère ce changement dû à cette ouverture subite sur le monde notamment avec Internet qui existe depuis cinq ans. On voit les étudiants de l'Ecole des beaux-arts arriver avec un empressement tel que cela crée un décalage entre ce qui est enseigné et ce qui est attendu par les élèves. Il faut savoir comment répondre à cette immédiateté qui émane de ces nouvelles technologies, comment gérer ce flux d'images ve-nues d'ailleurs, et enfin comment traduire cela dans une création artistique. Dans un premier temps, nous sommes un trait d'union, une sorte de grand frère». Et de poursuivre: «Connaissant la société algérienne, étant moi-même algérien, et ayant côtoyé de près l'école et les enseignants, étant moi-même étudiant autrefois à l'Esba il y a plus de 17 ans, j'ai hâte de pouvoir réutiliser ce langage qui est compréhensible dans son immédiateté vis-à-vis des étudiants de l'école des Beaux Arts d'Alger à laquelle j'espère apporter ma meilleure condition. Le but est de travailler avec plus d'un artiste et ne pas se limiter à l'échange à la France, mais l'ouvrir à tout le réseau européen des rives de la Méditerranée.» Efficace, cette résidence de Berlin de par le génie de son concept est en passe de faire des émules. «On pense qu'à court terme, d'autres écoles vont être engagées dans ce projet», nous a assuré M.Gaussen. Aujourd'hui, tout développement économique ou social passe par l'évolution des formes marchandes et donc de la qualité du design à même de faire vendre plus un produit. L'art devient un outil indispensable dans la vie des gens de tous les jours. Il faut savoir que les projets de partenariat non officiel sont entrepris depuis des années entre la France et l'Algérie et notamment entre Annaba et Saint Etienne. «Il y a beaucoup de choses qui se font. Je pense que progressivement, nos tutelles (ministères de la Culture), on l'espère, dialogueront ensemble pour faire développer des projets, même si nous avons commencé à faire un travail entre nous. Le plus important est qu'il y ait des hommes qui se connaissent», confie M.Gaussen. Par ailleurs, nous indique-t-on, malgré la situation qui prévalait en 93, l'école d'Aix-en-Provence n'a cessé de collaborer avec l'école des Beaux-Arts d'Alger dans le cadre de cet échange bilatéral. Ce travail de collaboration, révèle M.Slimane Raïs, concerne non seulement les étudiants mais aussi ces créateurs qui ont choisi de rester en Algérie. Ces derniers ont besoin, d'après lui, d'un terreau pour qu'ils puissent constituer la relève. «Eux aussi ont besoin d'une atmosphère culturelle favorable, entre séminaires, expo, multiplication des galeries d'art. L'idée est que ces gens soient en phase avec ce qui se passe dans le monde. Qu'on ait le même langage. Qu'on se comprenne.» Peut-être que cette amitié-là née de cet échange peut réussir à dissiper les malentendus. La culture réussira ainsi là où la politique a échoué...