Des bénéficiaires, des fonctionnaires, des élus, des promoteurs immobiliers et des notaires impliqués. La dilapidation du foncier agricole, cette question qui ne cesse de susciter des interrogations de l'opinion publique est en passe d'être réglée, au vu des dernières mesures prises par les autorités judiciaires à travers les principales villes du pays. Les investigations menées depuis une année sur la situation du foncier agricole du domaine public ont révélé l´implication, dans les détournements des terres de leur vocation initiale, de bénéficiaires d´exploitations, de fonctionnaires, d´élus locaux, de promoteurs immobiliers et de notaires, indiquent les procureurs généraux des cours d´Alger, d´Oran, d´Annaba et de Blida. Il y a lieu de préciser que ces infractions impliquent, en premier lieu, les bénéficiaires à qui l´Etat avait confié des EAC et EAI, dans le cadre de la loi 87-19 du 8 décembre 1987, qui détermine clairement le mode d´exploitation des terres agricoles du domaine national et fixe les droits et obligations des producteurs. Elles impliquent également, les personnes qui ont acquis illégalement des terres destinées à l´exploitation agricole, mais qui ont été détournées de leur vocation initiale. Plus grave, ces infractions ont été favorisées par l´intervention d´auxiliaires de notaires qui ont établi de fausses écritures pour la vente et le désistement des terres entre parties, d´élus locaux et de fonctionnaires qui ont usé de leur influence pour légaliser les pratiques fraudeuses, bénéficiant eux-mêmes de ces terres quand ils n´ont pas été derrière leur cession au profit d´autres services de l´Etat pour les besoins de la promotion immobilière et de la construction d´infrastructures socio-économiques et culturelles. Dans ce cadre, des milliers de plaintes ont, en effet, été introduites à l'encontre des contrevenants et des procès-verbaux ont été établis et adressés à la justice. Ainsi, d'après le commandement plus de 15.600 enquêtes sur l´état des lieux des exploitations agricoles, à l´échelle nationale, ont déjà été transmises à la justice par la Gendarmerie nationale, a affirmé, hier à l'APS le colonel Ayoub Abderrahmane. Une véritable «érosion» Ces affaires se répartissent comme suit: 2520 enquêtes concernent les wilayas du centre du pays, 5872 l´ouest du pays et 7237 concernent les wilayas de l´est a indiqué à l´APS le chargé de communication du commandement de la Gendarmerie nationale, le colonel Ayoub Abderrahmane. Pour la seule wilaya d´Alger, 2053 exploitations ont fait l´objet de procès-verbaux, dont 584 exploitations individuelles et 1469 collectives. Cependant, les investigations risquent de s´étaler davantage dans le temps en raison des difficultés rencontrées sur le terrain. Il s'agit, des problèmes de sécurité rencontrés dans certaines localités, la difficulté de convoquer les personnes concernées en raison du changement de résidence et le déplacement à l´étranger de beaucoup de bénéficiaires d´exploitations. Il y a lieu de signaler que les infractions constatées par la Gendarmerie nationale se résument en «la construction sans autorisation, l´accaparement de terres agricoles sans autorisation et détournement des terres de leur vocation agricole». Dans la wilaya de Blida, l´assainissement du foncier agricole du secteur public, entamé depuis une année, s´est soldé par l'établissement de 1279 procès-verbaux (PV) et l´ouverture de 79 informations judiciaires. L´objectif de cette opération, indique le procureur général de Blida M.Sahel, est d´ «assainir la gestion de toutes les exploitations agricoles», conformément aux orientations du président Bouteflika. Il ressort des différents procès-verbaux dressés par la Gendarmerie nationale, dans les localités dépendant de la cour de Blida, qu´"une partie importante de bénéficiaires continuera à exploiter leurs terres conformément à la loi", du fait, poursuit M.Sahel, que "leurs dossiers seront classés". En outre, il a précisé que 79 PV font l´objet d´informations judiciaires au niveau du tribunal dont dépendent 79 communes réparties entre Blida, Alger et Tipaza. Par ailleurs, et concernant les personnes impliquées dans les affaires de dilapidation des terres agricoles, le procureur général près la cour de Blida a indiqué que pour Blida seulement, 19 personnes ont été mises en accusation, une autre est placée sous mandat de dépôt, treize autres sont sous contrôle judiciaire et cinq en liberté provisoire. La wilaya d'Oran n'est pas en reste de cette «hémorragie», puisque l´enquête, entamée il y a une année, est achevée au niveau des exploitations relevant de la juridiction du tribunal d´Oran, a fait savoir le procureur général, indiquant que le travail du juge d´instruction sera bientôt entamé. En effet, 4010 exploitations agricoles, à savoir 3545 individuelles (EAI) et 465 collectives (EAC), réparties à travers les 26 communes de la wilaya, sont ciblées dans le cadre de cette opération d´assainissement, dont l´évolution "est suivie par le ministre de la Justice en personne", a souligné à l´APS le magistrat. Des terres dévoyées de leur vocation Les investigations, confiées à la section judiciaire de la Gendarmerie nationale, ont déjà abouti dans une première étape à la poursuite de 511 personnes à l´issue de l´inspection de 896 parcelles de terrain (714 EAI et 182 EAC) localisées dans une dizaine de communes relevant de la compétence juridique des tribunaux d´Arzew et Aïn El Turck. "Atteinte à la propriété immobilière" et "défaut de permis de construire" sont les deux chefs d´inculpation essentiels retenus à l´encontre des mis en cause, parmi lesquels des agriculteurs, des retraités de l´administration publique, des commerçants et des industriels. Pour sa part, la cour de justice d´Annaba a enregistré, trois plaintes déposées par la wilaya d´Annaba à l´encontre de trois EAC implantées à Treat, Berrahal et El Bouni. Ces plaintes mentionnent que les terres agricoles de ces EAC ont été dévoyées de leur vocation au profit de l´implantation de commerces, d´activités industrielles et d´habitations illicites. Ces affaires font l´objet actuellement d´une enquête approfondie, a indiqué le procureur général près la cour de justice d´Annaba qui a fait remarquer que les infractions relevées dans l´ensemble des cas d´atteinte et d´agression du foncier agricole se rapportent "au détournement partiel et entier des terres de leur véritable et unique vocation, l´acquisition de faux documents délivrés par l´administration et faux en actes notariés, faux et usage de faux, fausses déclarations et spéculation sur les prix de vente de ce patrimoine de l´Etat". Depuis l´ouverture des enquêtes par la section judiciaire de la Gendarmerie nationale, en février dernier, il a été établi 131 procès-verbaux qui ont révélé 51 cas d´irrégularités et d´agressions sur les terres agricoles relevant des localités de la wilaya d´Alger. il y aurait quelque 130.000 hectares de terres agricoles à l´échelle nationale qui ont été détournées de leur vocation, depuis 1962, avait récemment indiqué le ministre de l´Agriculture, M.Saïd Barkat. En somme, les pouvoirs publics sont déterminés à en finir avec un dossier qui a longtemps défrayé la chronique. Le temps des intouchables est-il révolu?