Les récents événements qui secouent le pays, notamment le secteur de la «justice» par la poursuite d'une part des présumés têtes de la corruption et la suspension de deux juges et d'un parquetier par le nouveau ministre de la Justice, et le communiqué du seul et unique syndicat des juges (SNM) daté du 16/8/2019 sous le n°2 accusant le ministère de violer des dispositions législatives d'autre part, nous incitent à donner notre point de vue en notre qualité de chercheur «autonome», ayant contribué par un livre en 2016 sur le Conseil supérieur de la magistrature (le régime disciplinaire du juge algérien). Par Docteur Abdelkader Khadir La discipline des juges et magistrats (parquetiers) est régie par les dispositions de la loi organique (LO) n°04-11 du 6/9/2004 portant statut de la magistrature, notamment ses articles 60 à 72, et aussi par la charte de la déontologie du magistrat parue au Journal officiel n°17 du 14/3/2007 (conformément à l'article 64 de la LO n°04-11 sus-citée). Le communiqué officiel du ministère en date du 14/8/2019 faisant état de la suspension de deux juges (un conseiller auprès de la cour de Tiaret, et une juge au tribunal d'El Harrach), et d'un parquetier (au tribunal de Tlemcen) pour divers griefs portant sur de lourdes fautes professionnelles, dont certaines à connotation pénale (corruption, usurpation d'identité, et empiètement volontaire sur des procédures pénales !) a été lu au Journal télévisé de la chaîne officielle de 20h00, et a été largement diffusé via l'APS par les chaînes satellitaires privées, et les journaux et sites électroniques, donnant ainsi l'impression que le ministère procède à un «lifting» de son département, à l'instar des autres départements ministériels. Le communiqué du nouveau président du syndicat national des magistrats (SNM) sus cité, est venu dénoncer le caractère inquisitoire du communiqué ministériel, en reprochant au ministre l'utilisation erronée des textes (arts 26 et 65 de la LO n°04-11 sus citée), et la nature attentatoire «publicitaire» entachant la mesure provisoire de suspension qui écorne le principe d'innocence dont bénéficie de jure tout prévenu. Ce communiqué nous rappelle les feuilletons des conflits entre les présidents du SNM et les ministres de «Justice», tels les cas du président fondateur du SNM, Berrim avec Taguia, Louh avec Adami, Ras El Aïn avec Chorfi et Ouyahia… De prime abord, rappelons, que le corps de la magistrature qui est appelé à des tâches importantes (juger les corrompus et récupérer les deniers publics) n'est pas à l'abri de la corruption. Des cas de corruption financière, foncière et sexuelle ont éclaboussé la robe noire laissant de graves séquelles (confiance des justiciables). Cependant, la corporation regorge de juges et parquetiers compétents et intègres. Par ailleurs, la loi organique n°04-11 a été un butin de «guerre» déclarée entre l'ex-président du SNM, Ras El Aïn avec Chorfi qui a installé un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) illégitime -dont les élections furent boudées par la corporation des juges-, au motif que la loi ne mentionne pas de quorum pour la tenue des élections des membres de ce dernier, puis Ouyahia qui, avec la complicité de l'ex-président du Conseil constitutionnel (CC), Bedjaoui, a invalidé le projet de la loi organique portant statut de la magistrature en 2002, au motif «dérisoire» que le Conseil d'Etat n'a pas été installé au moment du dépôt du projet au CC, et enfin avec Belaïz qui a confectionné en association avec le secrétaire d'Etat au gouvernement, Naoui, le projet de la LO n°04-11. L'ex-président Bouteflika a signé cette loi organique controversée après que le même Bedjaoui l'eut validée en 2004, et ce, après des modifications profondes dans le texte permettant l'incursion de l'Exécutif dans le judiciaire, alors que cette prérogative relève du Parlement, et non pas du contrôleur de la constitutionnalité (le CC). L'ex-président, Ras El Aïn et autres représentants du SNM ont fait les frais de cette guerre, fin de fonctions et mutation du tribunal d'Alger (Sidi M'hamed) vers le Sud, puis licencié au motif d'avoir soutenu Ali Benflis contre Bouteflika dans des circonstances impliquant le Conseil d'Etat à travers l'arrêt «fantôme» n°16886 du 07/6/2005 qui n'a été publié dans la revue du Conseil d'Etat qu'en 2012, une autre victime, le procureur général adjoint de la cour d'Alger, qui a décrié la légitimité de l'arrêt «nocturne» relatif à l'affaire du FLN, Nouasri Rafik, qui fut muté au Sud puis révoqué. Le président de la section SNM de Constantine, Heboul Abdellah fut lui aussi muté, puis sanctionné, le poussant ainsi à la démission…(Aïdouni était président du syndicat). L'article 65 du statut de la magistrature confère au ministre de la «Justice» la prérogative de suspendre tout juge et magistrat (parquetier) qui commet une faute grave de nature à compromettre la bonne continuité du service judiciaire (qu'elle soit commise dans le cadre du service ou en dehors), et ne permettant pas son maintien en poste et fonction. En outre, le ministre est tenu de procéder à une enquête préliminaire (questionnaire adressé à l'intéressé comportant ses explications) et ce, après avoir informé le bureau du CSM. Ces dispositions ont étés respectées par le ministère dans son communiqué qui énonce l'ouverture d'une enquête à l'encontre du parquetier de Tlemcen. Cependant, le communiqué a fait état de la nature juridique des fautes commises par les juges et le magistrat suspendus, à savoir empiètement volontaire sur des procédures pénales (classement de plaintes à l'encontre d'une directrice du cadastre sans ouverture d'enquête préalable), Mais le dernier paragraphe de l'article 65 sus-cité prohibe la publicité de cette mesure conservatoire –qui, rappelons-le, n'est pas une sanction- «La décision de suspension ne peut faire en aucun cas l'objet de publicité.». Le SNM reproche au ministre d'avoir divulgué la nature juridique (la qualification) des fautes reprochées aux juges et au parquetier, alors même que l'actuel président de ce syndicat avait déclaré à deux reprises sur des chaînes privées que la divulgation des photos des présumés accusés ; Saïd Bouteflika, le général de corps d'armée Mediene et le général-major Tartag, ainsi que Louisa Hanoune à leur insu, entrant dans l'enceinte du tribunal militaire de Blida, était conforme à une jurisprudence française (Cour de cassation) faisant fi des dispositions législatives relatives à la publicité attentatoire au motif qu'ils étaient des personnalité publiques. Ainsi, pourquoi, cette «bourde» est tolérée avec appui jurisprudentiel «français» pour les quatre présumés innocents sus-cités avec tambour battant (images tournées en boucle), et ne l'est pas pour les juges et parquetiers présumés fautifs ? Au motif d'une disposition législative contestable déontologiquement et impraticable conjoncturellement (revendications du Hirak relatif à la transparence, et à la retransmission en direct des procès des prétendus corrompus ; les jugements et arrêts ne sont-ils pas prononcés au nom du peuple ?). Le cabinet ministériel aurait pu recourir comme c'est de facto (de pratique) en France (jurisprudence) suivi par l'actuel président du Snm) à la technique des fuites à destination de la presse, le Snm aurait dû faire face dans ce cas de figure à la colère de centaines de médias au risque d'avoir le peuple (El Hirak) en face, et le 4ème pouvoir (la presse) sur le dos, mais le ministère s'en est privé, préférant garder la même distance avec tous les prétendus «corrompus» (col blanc et robe noire) quitte à empiéter sur la disposition législative sus-citée. Idem, pour le lapsus référentiel relatif à l'article 26 de la LO de 2004 cité dans le communiqué ministériel, qui est invoqué comme assisse juridique à la suspension du parquetier de Tlemcen. Là aussi, on peut invoquer l'inexpérience du nouveau staff installé récemment par le ministre, qui a eu au moins le courage d'informer l'opinion publique par des communiqués de presse, au lieu de recourir -comme à l'accoutumée- aux instructions par téléphone et fax. Le travail accompli par la cellule de communication du ministère, ainsi que les communiqués de presse du procureur général près la Cour suprême, et ceux du premier parquetier près le tribunal d'Alger Sidi M'hamed mettant la lumière sur toute affaire traitée, et justifiant toute mesure prise, sont à saluer. L'actuel président du Snm disait dans une interview télévisée, «les juges n'avaient pas de voix», cependant, réduire les aspirations «légitimes» des 6000 juges et magistrats (ou de ceux qui ont voté pour lui fin avril 2019) à une seule et unique voix (Snm), qui parle ou se tait depuis 1990, est révélateur d'un cycle de cantonnement à sens unique. Au demeurant, l'adage «qui n'entend qu'une cloche, n'entend qu'une voix» trouve sa véritable place en la circonstance, alors même que la corporation recèle de jeunes et moins jeunes compétences qui attendent éclosion, d'où la manifestation courageuse des jeunes juges et magistrats à travers leur «club» qui a été étouffée dans l'œuf par Louh en 2016 (sanctions et mutations des initiateurs), notamment si on considère la «virulence» pesante et menaçante du communiqué syndical (avant-dernier paragraphe, 3ème colonne) «…en sa qualité de représentant légitime du pouvoir judiciaire qui est chargé(e) suivant la Constitution de veiller à l'application et au respect de la loi …», et (avant-dernier paragraphe, 5ème colonne) «…avertissons...si cette violation est renouvelée…». Doit-on blâmer le ministre pour avoir eu le courage de déterrer des dossiers disciplinaires classés par un de ses prédécesseurs par accointance politique et/ou financière (cas de la juge du tribunal d'El Harrach dont les circonstances troublantes ont été révélées par Algérie part) ? A-t-on oublié qu'il a fait les frais ainsi que son ministre, Chorfi, de sa déclaration de presse relative à l'affaire Khelil ? Le ministre de la «Justice» a réagi ce lundi 19 août 2019 lors de l'installation du président et du procureur général près la cour d'Oran au communiqué l'accusant de violer la loi. L'autonomie de la justice n'est pas un privilège, c'est une lourde responsabilité, et nous ajoutons (l'auteur), c'est l'affaire de tou(te)s les Algérien(ne)s. En conséquence, elle ne doit pas être laissée entre les mains d'une seule corporation aussi noble soit-elle.