Entre «pouvoir ce que l'on veut et vouloir ce que l'on peut», les journaux sont pris en étau. La presse européenne est largement revenue, ce week-end, sur l'affaire des douze dessins publiés initialement le 30 septembre 2005, par le quotidien danois Jyllands-Posten. Dans son édition du jeudi, le journal Le Monde étalait sur la moitié de sa une un dessin représentant le Prophète (Qsssl). «Au-delà de l'amalgame, injuste et blessant, entre l'islam et le terrorisme, présent dans quelques dessins, c'est l'interdit de la représentation de Mahomet qui est en cause», écrit l'éditorialiste de ce journal. Dans son édition d'hier, le quotidien Libération a, lui aussi, publié deux des dessins danois et consacré un dossier de six pages à cette affaire. Le quotidien révèle que c'est à l'issue d'un «débat» interne, pour «défendre la liberté d'expression», tout en prenant ses distances avec les croquis «que nous n'aurions jamais acceptés en temps normal». France-Soir, le premier journal français à avoir publié mercredi certaines caricatures controversées et dont le directeur a été limogé, campe encore sur ses positions, considérant que la polémique «montrait combien (il avait eu) raison de sonner le tocsin» sur la défense de la liberté d'expression. Le Figaro tente de calmer les tensions. Il refuse de publier les caricatures attentatoires à l'un des symboles de l'Islam, mais publie la liste des médias européens ayant publié une ou plusieurs des caricatures du Jyllands-Posten : Die Welt (Allemagne, conservateur), ABC, (Espagne, droite), El Periodico (Espagne, gauche), La Stampa (Italie, indépendant), Corriere della Serra (Italie, indépendant), De Volkskrant (Pays-Bas, progressiste), De Telegraaf (Pays-Bas, populaire), NRC Handelsblad (Pays-Bas, libéral), Dnes (Rép. Tchèque, centre droit), BBC (Grande-Bretagne), Blick (Suisse, populaire). Le quotidien de référence portugais Publico reproduit hier, trois des douze caricatures du Prophète publiées par le journal danois Jyllands-Posten pour, dit-il, «informer ses lecteurs sur la polémique qui agite le monde musulman, sans vouloir faire de provocation». Publico a décidé de reproduire certaines caricatures «pour que les lecteurs puissent prendre connaissance de la polémique, mais n'entend pas avoir une quelconque obligation de répéter une provocation par devoir de solidarité», explique dans un éditorial son directeur José Manuel Fernandes. Le quotidien estime que pour qu'il n'y ait «pas de limites à la liberté d'expression», celle-ci doit être «utilisée de manière responsable», écrit M.Fernandes. «Quand on a à faire à des convictions religieuses, la frontière entre ce qui est publiable et ce qui ne l'est pas, est plus ténue et difficile à déterminer. Ce sujet exige une plus grande sensibilité et capacité à résister à la tentation d'un sensationnalisme voyeuriste facile et à la curiosité parfois sans limite du public», poursuit-il. La presse britannique a évité de mettre de l'huile sur le feu. L'affaire a certes fait la une des quotidiens anglais, mais aucune caricature du Prophète n'a été reproduite. De l'Independent (gauche) au Daily Telegraph (droite), la presse britannique a cherché à concilier ce que l'Independent a qualifié de «droits rivaux», celui de la liberté de la presse et celui des musulmans à ne pas se sentir agressés. «Elever un droit au-dessus d'un autre est la marque du fanatisme», écrivait le quotidien. Le Guardian a insisté sur l'importance du «contexte», estimant que les journaux n'étaient «pas obligés de publier des documents offensants simplement parce qu'ils sont controversés». Le Financial Times a jugé plus directement «stupide» la publication des dessins, redoutant une «nouvelle affaire Rushdie», l'écrivain britannique dont l'ayatollah Khomeiny avait demandé la mort en 1989, jugeant blasphématoire ses «Versets sataniques».