Le retard accusé par les rédacteurs des textes de loi portant réconciliation nationale renseigne sur la fragilité d'une paix qui n'est pas encore acquise. Dans un entretien livré au quotidien saoudien Al Ryad, l'ancien porte-parole du FIS-dissous par voie de justice, le 4 mars 1992, a fait un large survol de la situation politique que traverse l'Algérie depuis quelques années, critiquant au passage Madani Mezrag, le clan dit des «éradicateurs», et formulant ses appréhensions sur une période qu'il juge assez dangereuse pour nourrir les craintes les plus sérieuses. L'un des points les plus intéressants de son entretien a été sans doute sa critique acide et qui a visé Madani Mezrag. Abassi Madani estime que Mezrag, qui avait émis récemment son souhait de participer aux prochaines législatives, est en train de dire des «inepties» parce que simplement «en tant que personne, il n'a aucune légitimité et aucun statut légal.» Concernant les textes de loi portant réconciliation nationale et qui tardent à voir le jour, Abassi Madani s'étonne que ces lois ne soient pas promulguées rapidement et directement par ordonnance. «Pourquoi s'en remettre à l'Assemblée nationale? Peut-on chercher encore une légitimité à quelque chose qui a été déjà plébiscité par tout un peuple?» Pourtant, Abassi Madani ne semble pas mettre en doute les intentions du président de la République d'aller le plus loin possible vers une véritable paix. «Le problème ne réside pas dans les intentions du Président Bouteflika, car on ne doute pas de ce qu'il fait, mais bien dans sa capacité de mener les choses le plus loin possible dans la réconciliation nationale». Répondant en quelque sorte à Hocine Aït-Ahmed et à Saïd Saadi, Abassi Madani affirme: «Le Président est un nationaliste sincère qui veut réellement arrêter la violence en Algérie et mener le pays vers la fin de la crise (...) En ce sens, l'après-Bouteflika risque d'être dangereux car il sera synonyme de «saut dans l'inconnu», de «retour à la case départ» et d'«ajournement du processus de réconciliation nationale». Cette nouvelle intervention médiatique de Abassi Madani renseigne bien sur les craintes des islamistes algériens, mais aussi sur les dissensions internes. Cette passe d'armes entre Abassi et Mezrag ne date pas de ce jour, et les deux hommes se donnent le change depuis plusieurs années déjà, le premier estimant qu'il reste le président historique, le second jugeant le moment opportun de se défaire d'une tutelle encombrante et d'un parti qui a cessé politiquement d'exister depuis mars 1992. Pourtant, à deux reprises, les deux hommes se sont rencontrés à Doha, au Qatar, début octobre 2005. Intéressante à plus d'un titre, la rencontre l'était d'autant plus que les préjugés entre les deux hommes existaient, et que, en fait, la rencontre était bel et bien la première du genre entre Abassi Madani, le responsable politique, et Madani Mezrag, le responsable de l'aile militaire du parti dissous . Selon une source crédible, présente lors des deux rencontres, Abassi Madani a longuement parlé à Mezrag des raisons de sa circonspection vis-à-vis de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, après l'avoir appuyée dans son principe quelques mois avant la publication des textes portant le projet de Charte. L'ancien dirigeant a dit qu'il s'attendait à mieux «voir se réaliser une véritable réconciliation, qui rendrait justice à tous, sans exclure quiconque». Mais, atténuant ses positions mitigées, telles qu'exprimées deux jours avant le référendum, dans un long communiqué-réquisitoire adressé «au peuple algérien», Abassi Madani a dit que, finalement, il ne pourrait «se substituer au peuple», et que toute nouvelle avancée dans la bonne voie et la paix «est à prendre»; Madani Mezrag a aussi fait comprendre à son ancien chef les raisons de son alignement sur la politique du président, qu'il a toujours définie comme «un pas décisif vers la solution véritable qui, elle, reste à faire». Merzag estimait qu'«il ne faut pas tourner le dos à toute nouvelle démarche vers la réconciliation définitive et qu'il faut se saisir de toutes les opportunités qui s'offrent malgré les critiques qu'on peut leur porter, les injustices qu'elles peuvent constituer et les lacunes qu'on peut leur trouver». La première rencontre entre les deux hommes a été suivie d'une seconde, dans la résidence de l'ancien dirigeant, et selon notre source, cela avait permis au septuagénaire d'atténuer son hostilité au projet de Charte et de mesurer sur le terrain les mérites d'une telle politique. Soupçonneux, comme à son habitude, Abassi Madani avait dit il y a quelques semaines qu'il ne reconnaissait pas l'AIS et qu'il n'avait jamais dit à quelqu'un de prendre les armes et les maquis, et que, de ce fait, «ceux qui avaient pris les armes l'avaient fait seuls, de leur propre chef, et qu'ils étaient, donc, responsables de leurs actes». Créée à partir de la mi-juin 1994, à l'instigation des chefs politiques de l'ex-FIS à l'étranger dirigés par Rabah Kébir, l'AIS devait faire pièce au GIA et contrecarrer l'hégémonie et les dérives de celui-ci sur le terrain. A l'époque, Abassi Madani était en prison où il purgeait une peine de douze ans de réclusion, après les événements de mai-juin 1991, et les affrontements pouvoir-islamistes qui ont fait suite. Madani Mezrag, à la tête de l'AIS, avait appelé à une trêve des hostilités à partir de 1996. Le 1er octobre 1997 et suite à une rencontre secrète ANP-AIS, celle-ci déclare par un communiqué signé Madani Mezrag, l'arrêt total des affrontements et le dépôt des armes. L'élection de Bouteflika en avril 1997 avait permis de donner une couverture politique et juridique à la trêve de l'AIS, permettant à ses membres (près de 3 000) de bénéficier de l'intégralité de leurs droits civiques. Depuis l'autodissolution de l'AIS (le 13 janvier 2000), Madani Mezrag s'aligne régulièrement derrière les choix politiques de réconciliation nationale de Bouteflika, alors que les dirigeants de ce qui reste de l'ex-FIS ont des positions très fluctuantes, mais favorables et à la paix et au président Bouteflika. Alors que la direction d'Alger constituée de Ali Benhadj, Abdelkader Boukhamkham, Ali Djeddi et Kamel Guemazi conditionne son appui total par un retour à ses droits civiques et politiques, le «clan Kébir» à l'étranger, constitué par Rabah Kébir, Ould Adda et Ghemazi continue à soutenir le président à fond.