Prisons secrètes, escales tout aussi discrètes à l'étranger -sans accord des autorités locales- pour le transport de prisonniers, tortures...C'est la totale. Jamais sans doute l'illégalité et le mépris des lois et du droit internationaux n'ont été portés à un aussi haut niveau de transgression par un Etat que ne le font actuellement les Etats-Unis dont les pratiques, prohibées par le droit international, sont devenues l'adjuvant le plus usité par Washington dans sa lutte contre le terrorisme. Les dernières révélations, notamment sur le transport de prisonniers et les escales secrètes dans des aéroports espagnols et suédois notamment -à l'insu, semble-t-il, des autorités de ces pays- lèvent quelque peu le voile sur des pratiques qui restent condamnables quel que soit le motif évoqué. Guantanamo Bay (enclave américaine à Cuba) et Abou Ghraïeb (la sinistre prison de Baghdad) où la pratique de la torture est chose courante -sinon admise du moins couverte par les plus hautes autorités de l'administration Bush- ont donné à voir, à une communauté internationale effarée, jusqu'où l'establishment politique américain était prêt à aller pour obtenir des renseignements. Il ne fait plus de doute pour personne que les Etats-Unis gèrent un peu partout dans le monde (à Guantanamo, en Irak, en Afghanistan et dans certains pays d'Europe de l'Est et sans doute aussi en Egypte et au Maroc) des prisons secrètes sous la responsabilité directe de la Centrale américaine du renseignement (CIA) où sont détenues dans l'anonymat total et au secret, des centaines de prisonniers, notamment ceux capturés en 2001 en Afghanistan. De fait, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Manfred Nowak, a exigé mardi des Etats-Unis d'autoriser «sans condition» une inspection de l'ONU à la prison de Guantanamo indiquant que les Etats-Unis «ont jusqu'à jeudi (aujourd'hui)» pour autoriser, de façon inconditionnelle, une inspection d'experts de l'ONU à la base américaine de Guantanamo le 6 décembre. «L'absence de réponse définitive d'ici à jeudi minuit (23h00 GMT) sera considérée comme un refus» a insisté le rapporteur onusien sur la torture. Mettant en exergue la position qui est celle des Etats-Unis en tant qu'unique superpuissance mondiale, M.Nowak a affirmé que «Les Etats-Unis ont (...) une responsabilité particulière car ils continuent de représenter un modèle pour de nombreux pays, notamment en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe de l'Est». Et M.Nowak de souligner «Ces pays peuvent avoir tendance à justifier des pratiques illégales au regard du droit international en invoquant l'exemple des Etats-Unis». Alors que la découverte de l'existence éventuelle de prisons secrètes américaines, notamment en Europe de l'Est, continue de faire des vagues, les révélations lundi par la presse espagnole et suédoise de l'utilisation (secrète) d'aéroports de ces pays par la CIA a fait l'effet d'une bombe en Suède et en Espagne. Choqué, le ministre espagnol de l'Intérieur, José Antonio Alonso, faisant part de son indignation avertissait mardi, que si l'affaire se confirmait, «nous serions en présence de faits gravissimes et tolérables en aucun cas», et cela appellerait «évidemment une réponse au niveau des gouvernements» des deux pays. De fait, les relations entre Madrid et Washington se sont passablement refroidies depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir qui a, entre autres, fait rapatrier le contingent espagnol qui stationnait en Irak dans le cadre de la coalition internationale. En Suède, la presse locale a également fait état de l'éventuelle utilisation par la CIA d'aéroports suédois pour le transport de prisonniers. Ainsi, des hommes politiques suédois n'ont pas manqué de dénoncer ces faits demandant au gouvernement de s'expliquer sur ces faits graves. Dans une déclaration à l'agence de presse suédoise TT, Lars Ohly, chef du Parti de la gauche (ex-PC) s'interrogeait hier, se demandant si le gouvernement était «au courant de cela, et l'a-t-il approuvé ou non?». Renchérissant à ces propos, le représentant des Verts, Gustav Fridolin, indique que «l'espace aérien suédois ne devrait pas être ouvert au "commando Abou Ghraib" (en référence au scandale de la prison de Baghdad dans laquelle des soldats américains ont torturé des détenus) et la Suède ne devrait pas faire partie du système Guantanamo». Face à cette levée de boucliers, le secrétaire d'Etat, Lars Danielsson a déclaré que le gouvernement allait chercher à en savoir plus sur les informations publiées par TT, et qu'il n'était pas au courant de ces vols. En effet, selon l'agence de presse suédoise TT au moins deux appareils, qui auraient dans le passé été utilisés par la CIA, se seraient posés sur des aéroports du pays scandinave en 2005 et en 2002. L'un des avions se serait posé plusieurs fois à la base américaine de Guantanamo. Au moment où Washington s'est engagé dans un bras de fer avec l'ONU à propos de la base de Guantanamo justement -où beaucoup de choses peu catholiques s'y passent- la controverse enfle dans le monde sur la manière avec laquelle la CIA utilise des aéroports extra-territoriaux pour des besognes que la morale réprouve et des pratiques que le droit international condamne. Cette histoire de prisons secrètes américaines et de prisonniers détenus sans couverture légale par des représentants de l'autorité américaine, est en fait en passe de prendre les proportions de scandale du siècle. A l'évidence, en se donnant quasiment le droit de vie et de mort sur tout citoyen du monde suspect, ou présumé terroriste, partout où il se trouve, la superpuissance américaine vient de franchir un nouveau jalon dans sa tentative de contrôle de la planète. Cette donne n'est plus le problème d'une poignée de pays mais bien celui de la communauté internationale dans son ensemble.