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Larbi Ben M'hidi: «L'âme blanche de la Révolution»
Publié dans L'Expression le 06 - 02 - 2020

Dans l'histoire de la Révolution algérienne les neuf historiques occupent une place à part: l'Olympe. Une légitimité inscrite en lettres d'or dans la mémoire collective. Mais que savons-nous d'eux exactement? Fils de pauvres? Fils de riches? Instruits? Illettrés? Fils des villes? Fils des campagnes? Dans son remarquable ouvrage «Histoire intérieure du FLN», le regretté historien Gilbert Meynier nous apporte les réponses qui bousculent bien des préjugés. Nous allons en faire notre miel dans plusieurs chroniques tant ce pavé de près de 800 pages fourmille d'informations utiles qu'il nous semble nécessaire de présenter au plus grand nombre. D'abord, un constat: les neuf ne sont pas venus du néant, pas plus qu'ils ne sont pas entrés en révolution par la grâce d'une illumination. Tous sont des militants politiques. Tous sont des fils du MTL D (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), né de la dissolution du Parti du peuple algérien, le mythique PPA. Fils du MTLD, mais fils rebelles, en rupture avec lui. Tels sont les neuf.
Les neuf, ces ruraux
Une évidence: les neuf sont presque tous des ruraux, à l'exception de Didouche Mourad, né à Alger, mais originaire de la Kabylie. Cependant, peut-on le considérer pour autant comme un pur citadin, un «hadry» dont les racines plongent dans la culture et la tradition algéroises? Evidemment que non. Mais s'ils sont d'origine rurale, ils ont très vite connu la ville, se frottant ainsi à la citadinité bouillonnante d'idées de liberté et d'indépendance.
La conclusion que tire Meynier mérite d'être reproduite, même partiellement: «On ne peut pas dire qu'il y ait dans ce groupe des neuf, grande homogénéité de profils sociaux. Mais un trait distinctif commun (outre la ruralité) est l'appartenance à une classe -comme aurait dit Marx-ou à un statut-comme aurait dit Weber- qui les distingue nettement de la masse
des Algériens. L'appartenance de classe en termes de situation dans les rapports de production n'est pas déterminante.
Poussant plus loin son analyse, Gilbert Meynier juge que les neuf ont atteint-ou peuvent atteindre- une notoriété telle qu'elle leur paraît incompatible avec l'humiliation coloniale. Tout n'est donc qu'affaire de statut et de notoriété? Si ça ne tenait qu'à cela, pourquoi les champions de boxe, par exemple, Omar Kouidri, sextuple champion de France, ne s'est jamais révolté, ni pris les armes. Ni d'autres champions comme Bob Omar ou Omar le Noir. En fait, de notre point de vue, ce n'est ni une question d'orgueil ni de statut social, même si ces deux éléments ont eu certainement leur part, mais de maturité et de formation politiques. Il n'est pas étonnant que Ben M'hidi et Ait Ahmed aient été passionnés par les Révolutions irlandaise et française.
Faisons mieux connaissance avec Hocine Ait Ahmed. Mohamed Boudiaf et Larbi Ben M'hidi.
D'abord Ait Ahmed, l'homme qui s'est battu toute sa vie avec les mêmes idéaux et les mêmes valeurs aussi bien contre l'occupant que contre les différents régimes algériens. Grâce à Meynier nous apprenons qu'il est «le petit-fils du cheikh Mohand El Hocine; d'une famille de culture musulmane, il est issu d'une très haute lignée maraboutique de Kabylie». Certes son père était caïd. Mais pas un caïd zélé prêt à servir avec enthousiasme le colonisateur. Non, un caïd malgré lui, contre sa volonté, précise son fils dans ses Mémoires insistant sur le fait que le statut de caïd était de la récupération politique de la notoriété de son père. Que lit Ait Ahmed? Du lourd: Juvénal, Tagore, Clausewitz, Si Mohand. Question étude, il interrompit son cursus juste après la première partie du bac pour se lancer dans la politique.
Ait Ahmed «hait le militarisme, mais il a des vertus militaires. Le sens du concret, les qualités d'organisateur ressortent». Il ne goûte ni les futilités ni les discussions oiseuses et byzantines. Il préfère les intellectuels aux plébéiens, selon Meynier. Il est «plutôt un jacobin, un laïque qui regarde avec méfiance les dévots» ulamâ. Pour tout dire, il hait l'hypocrisie et les hypocrites, surtout ceux qui se servent de la religion comme outil de promotion de leur image et de leur ascension sociale.
L'autre dirigeant cultivé des neuf est Boudiaf. Il appartient à une grande famille: celle des Boudiaf-Seddik de M'sila. Il est d'une branche défavorisée qui ne roule donc pas sur l'or ni sur les tapis fastueux. Son père est tailleur. Raison pour laquelle il ne poursuivit pas ses études secondaires préférant devenir petit fonctionnaire. «Ce grand seigneur aurait pu faire carrière dans l'administration. Mais imagine-t-on un Condé rond-de- cuir?Il est le type du déclassé qui, parce qu'il est à un certain niveau par sa naissance, ne put longtemps accepter la situation à lui faite.» Meynier ajoute qu'il a la morgue de sa caste. En tout cas, ce n'est pas un homme très conciliant. Parfois dur avec les
autres et surtout avec lui-même. Il a horreur du tiède, horreur du laxisme. C'est un homme révolté. Un homme tempête. Doté d'une solide formation politique, il a ce mot pour ses compagnons qu'ils soient de l'OS, du CRUA ou du groupe des «22»: «Ils ont une éducation plus morale que politique.» C'est plus un blâme qu'un compliment. Cela montre aussi son niveau de maturité politique par rapport aux autres.
Ben M'hidi, la caution de la Soummam
Si l'historien a une admiration pour l'un des chefs, elle va incontestablement à Larbi Ben M'hidi. Ouvrons-lui les guillemets pour donner la mesure de son enthousiasme: «Si Lamartine avait connu le FLN, il aurait appelé Ben M'hidi l'âme blanche du FLN. Son goût pour la démocratie, sa foi profonde et sereine, son ascétisme et sa réputation de chasteté, qui n'excluent pas, pour autant, une constante gaieté, s'opposent à l'ondoyance despotique d'un populiste comme Ben Bella, par exemple. Un point commun aux deux hommes: le sourire. Et pourtant, entre eux, c'était à couteaux tirés: lors de son séjour au Caire, en 1956, Ben M'hidi semonça vertement Ben Bella de ne pas suffisamment alimenter les maquis en armes et de vouloir sans mandat régenter le FLN.» Il ajoute un élément important qui clôt définitivement la polémique déclenchée par le réalisateur Derais, auteur du biopic sur Ben M'hidi, qui a affirmé que Ben Bella a giflé Ben M'hidi: «Et d'après plusieurs témoignages, ulcéré, Ben Bella, aurait voulu gifler Ben M'hidi, lequel ne se laissa pas faire.» On va s'attarder avec Ben M'hidi, car Meynier lui prête un statut à part, celui de caution du congrès de la Soummam: «Les extérieurs furent presque tous hostiles à l'historique congrès ‘'intérieur'' de la Soummam, voulu par le leader de la direction d'Alger, Abane Ramdane, qui se tint contre eux en août 1956. Leurs griefs étaient particulièrement vifs à l'égard de leur prestigieux frère et chef historique de l'Intérieur Ben M'hidi, qui fut pour eux la caution non kabyle et ‘'musulmane'' d'un congrès qui, sans lui, aurait été presque exclusivement kabyle et ‘'laïque''. Il avait en somme, désamorcé leur argument: stigmatiser le congrès comme une entreprise kabyle.»
Question origine, Ben M'hidi est d'une famille maraboutique honorable de la région de Ain M'lila. A cause de la situation difficile de sa famille, il sera élevé par son beau-frère à Biskra. Tout comme Boudiaf, il a fait des études secondaires qu'il a dû arrêter faute de moyens. Il rejette sur le colonialisme son déclassement. En un mot, Ben M'hidi est un pur, un idéaliste, mais en aucun cas un mou. Dans ses Mémoires, Saâd Dahlab raconte effaré avec quel dureté Ben M'hidi l'avait traité lors d'un débat au sein du CCE. Il aime la culture et respecte ceux qui la possèdent. D'où sa grande entente avec Abane Ramdane.
ImpromptuMohamed Dib, travailleur émigré en France
Nous n'allons pas parler du CNL (Centre national du livre) algérien.
C'est un mort –né. On ne sait pas ce qu'il fait pratiquement. De quelle utilité il est.
Né en 2009 du temps de Khalida Messaoudi, il était censé promouvoir les acteurs de la chaîne du livre. De l'écrivain à l'éditeur en passant par le libraire. Des librairies ont fermé, des écrivains crèvent la dalle ou presque, le livre se meurt. Tout cela n'a pas fait bouger un poil au CNL. C'est une momie. Qui ne fait ni rire ni peur. Parlons plutôt d'un autre CNL, celui de la France, autrement plus dynamique et plus efficient. On apprend grâce à Jack Lang, ex-ministre de la Culture, que Mohamed Dib a bénéficié de l'aide du CNL. Pourquoi ?
Parce que la vente de ses livres ne lui permet pas de vivre décemment. On voit d'ici l'étonnement de quelques lecteurs, leur indignation même : «Pourquoi n'est-il pas rentré dans son pays au lieu de vivre chichement grâce à la main tendue du CNL ! Oh ! Que si ! Oh ! Que si ! Il a essayé. Lisons l'interview du journaliste Mohamed Zaoui qui l'avait interviewé : «Aux premières années de l'indépendance, en 1964 et en1965, j'avais fait plusieurs voyages (en Algérie, Ndlr) et, à chaque fois, on me disait qu'«on allait étudier la question», tout en me demandant de retourner chez moi et d'attendre. J'avais proposé la coédition de mes livres, car j'avais obtenu de mon éditeur français cette autorisation.
C'est-à-dire qu'au lieu que l'Algérie les achète au prix fort à l'édition française, ces livres auraient été imprimés en Algérie, et donc vendus à des prix accessibles au public. De plus, j'avais proposé l'édition d'une œuvre originale, malheureusement, je n'ai jamais eu de réponse.
C'est pour cette raison que je vis en France en tant que travailleur émigré, parce que j'ai trouvé dans ce pays les possibilités de logement, de moyens d'existence que je n'ai pas trouvés en Algérie.» Terrible.
On a envie de pleurer toutes les larmes de notre corps.


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