Intellectuel accompli, il arrivait d'Alger pour répondre à l'appel du FLN à tous les étudiants pour suivre la grève de mai 1956 et rejoindre les maquis. J'ai rencontré Mustapha en avril 1957 à Ait Lahcène (Iloula) en Grande Kabylie ; j'étais frappé par sa personnalité. Un vrai gentlemen issu visiblement d'une famille aisée. Quelle est-elle ? Quel est son nom de famille ? Nous savons tout simplement qu'il s'appelait Mustapha «l'Algérois». Aucune idée sur les études qu'il avait suivies; peut-être médecine ou autre. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il avait de la prestance, de la sagesse, qu'il n'était pas bavard. Blond, grand de taille, il ressemblait à ces gens des pays nordiques. Et puis un jour, il a décidé de quitter les bancs de l'université, sa famille et sa vie douce et heureuse, parce qu'il n'a pas pu résister à l'appel de la montagne pour participer au combat libérateur; comme nous tous qui étions embarqués dans cette galère avec beaucoup d'enthousiasme, avec la ferme décision de mourir pour la libération de notre pays. Il s'agit effectivement d'un rêve fou qui nous animait tous, alors même que nous étions encore adolescents ! Comment peut-on expliquer aujourd'hui cette frénésie à aller volontairement vers la mort pour l'amour de notre patrie ? Aujourd'hui, 63 ans après, je regarde avec nostalgie cette photo prise par Mustapha Belanteur, un autre héros de notre guerre de libération qui avait toujours son appareil sur lui. Je me souviens de ce moment à Ait Lahcène où il a pris cette photo pour pérenniser cette rencontre. Pourquoi ne lui avais-je pas demandé son nom de famille ? De n'avoir pas été à ses côtés au moment de la prise de la photo ? Toutes mes recherches sont restées vaines. Depuis la fin de la guerre, je n'ai cessé mes recherches à défaut de le retrouver, ou tout au moins rencontrer ses parents dans l'espoir de voir chez eux quelque chose de Mustapha «l'Algérois». Les quelques traces qui m'étaient proposées ne m'ont malheureusement mené nulle part. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer sa mémoire dans des articles précédents en imaginant qu'à la fin de la guerre, sa famille attendra vainement qu'il rentre à la maison. Des milliers de familles étaient dans leur cas à épier le retour de leurs enfants: malheureusement, la guerre les a engloutis. Maintenant, je suis presque sûr que Mustapha est porté disparu, comme des dizaines de milliers de nos chouhada, au moment où de l'autre côté de la Méditerranée, on dénonce sans cesse la disparition de 1 000 Français, civils et militaires. La différence est de taille, car la plupart de nos anciens compagnons et ils étaient des milliers à ne pas avoir eu des funérailles dignes de leur sacrifice et que nombre d'entre eux furent dévorés par les chacals. Que c'est triste de savoir que ces hommes de gloire aient connu une telle fin ! Mais pour nous à l'époque, nous ne faisions nullement cas de tout ça; l'essentiel était de mourir, les armes à la main et de ne jamais se faire capturer pour ne pas connaître le lot d'humiliations, de torture et l'enfer des centres d'internement pour ceux qui auraient survécu. Nous sommes donc à peu près sûrs que Mustapha « l'Algérois » n'est plus de ce monde, car il aurait cherché à nous rencontrer, à revoir ses anciens compagnons d'armes. Notre souhait est que sa famille se manifeste auprès de nous, si elle parvient à le reconnaître à travers la photo. En évoquant ces souvenirs, je n'ai pu m'empêcher de me rappeler le commandant Le Grand du 6° bataillon de chasseurs alpins basé à Michelet, qui, au cours d'un ratissage à Ait Ouavane en septembre 1957, a tué à bout portant deux étudiants. Ce jour-là, une trentaine de moudjahidine tombèrent au champ d'honneur, dont notre ami Si Belaïd, responsable local. Le commandant Le Grand était dans tous ses états, lorsqu'il a essayé de narguer l'un des deux étudiants: - «Pourquoi tu es monté au maquis ? La France t'a permis de t'instruire pour avoir un bel avenir devant toi ! -Moi j'ai pris le maquis pour libérer mon pays et vous ? Qu'est-ce qui vous a poussé à faire des milliers de kilomètres pour venir en Algérie et combattre notre peuple», lui répondit l'un d'eux. L'officier n'a pu supporter un tel affront. Il dégaina son pistolet et tira une balle dans la tête de chacun des deux étudiants. Mustapha « l'Algérois » était-il l'un d'eux ? Personne n'a pu nous donner la réponse. Si sa famille ou quelqu'un d'autre peut nous donner des informations, nous leur serons éternellement reconnaissants.