L'entrée de l'ALN sur le territoire national Cette entrée de la glorieuse Armée de Libération nationale s'est déroulée dans une totale discrétion. Elle était organisée dans une perfection digne d'intérêt qui mérite d'être signalée. Son infiltration était discrète et rigoureusement organisée dans la mesure où elle n'a pas éveillé l'ordre établi puisqu'elle s'est déroulée dans des quartiers à forte densité algérienne, malgré d'autre part, l'existence d'une très forte concentration de troupes françaises dans cette région stratégique pour les deux parties, (à moins qu'elle ait fait l'objet entre les deux parties d'une entente négociée. Une observation est à tirer de cet évènement: la police et les militaires sont restés confinés pour la première au commissariat et à la caserne pour les seconds. Aucune patrouille policière ou militaire n'a été aperçue dans la ville durant le déroulement de l'opération et le déploiement de l'ALN. En ce qui me concerne et pour utile information du lecteur, je relate l'entrée des djounoud, parce que c'est à cet aspect de la question auquel j'ai été partie prenante en tant que militant de l'Organisation civile du Front de Libération nationale et de par ma position comme son secrétaire, je ne pouvais me marginaliser en cette phase historique grandiose. Par ailleurs ce que j'ignore, c'est comment a été introduit l'armement important qui a accompagné la forte présence de djounoud. Comme je l'ai indiqué dans mon ouvrage consacré au responsable politique de Béchar et sa région: «Si Abdelkamel, chef de l'Ocfln, l'oublié de Béchar», si à cette étape de l'histoire qui relève du patrimoine de la mémoire du pays, des survivants ayant participé de près ou de loin à cet aspect de cet exaltant évènement, ne peuvent se taire. Ils sont tenus à la narration de cette célèbre phase de l'histoire du pays. Le déroulement était minutieusement préparé avec une parfaite maîtrise de son organisation. La manoeuvre de déploiement des forces armées algériennes sur cette partie du territoire national stratégique à plus d'un titre, était vigoureusement étudiée. Ces forces ont pénétré dans la ville de Béchar par petits groupes de cinq à six personnes. Ils ont été véhiculés par des taxis réquisitionnés pour la circonstance et par tout propriétaire d'un véhicule mis à la disposition du «Nidam». Des militants, titulaires de permis de conduire, ont été mobilisés pour la circonstance. Ils étaient chargés de conduire ces véhicules mis à la disposition du Nidam parce que certains propriétaires ont eu peur de prendre le volant d'autant qu'ils n'ont jamais été mis au parfum sur l'utilisation de la voiture. Opération discrète D'autres propriétaires, qui ont été sollicités, ont failli à leur engagement le jour «J» sous le prétexte que le véhicule était tombé en panne la veille de l'évènement. D'autres militants chargés de prendre possession d'un tel véhicule chez «X» ont signalé qu'ils ont constaté de visu que ces véhicules étaient dans un état de démontage ne permettant pas leur utilisation. Malgré ces désagréments de toute dernière minute, ils n'ont pas pour autant ébranler le déroulement de l'opération de l'entrée de l'Armée de Libération nationale à Béchar. À l'issue de cette opération et après l'indépendance, beaucoup ont dû mordre leurs lèvres de ne pas avoir participé. Ce qui est grave, c'est que certains peuvent se prévaloir de cette participation alors que ce sont ceux-là qui ont refusé de prêter leur véhicule au Nidam. C'est d'ailleurs dommage qu'aucune écriture n'a été tenue à cet égard, cela aurait été une excellente inscription au casier judiciaire de ces récalcitrants. Tout partait du domicile du responsable politique, Si Abdelkamel qui tenait lieu de siège et de poste de commandement de l'opération, situé à la rue (ex-Tigline), actuellement Bouhafs à Debdaba. Les djounoud arrivaient par petits groupes de cinq ou six personnes, suivant ce que peut prendre le véhicule. Ils étaient munis de carte d'identité comportant des noms et prénoms fictifs. Nous étions quelques militants mobilisés au siège du Nidam. Nous fûmes chargés d'accompagner le groupe de djounoud auprès des familles désignées par le responsable politique pour les accueillir. Sur le plan organisationnel, pour ne pas éveiller l'attention du public, nous ne devrions pas rester plantés devant le domicile du responsable politique, si Abdelkamel. Personne n'a failli à l'accueil Les djounoud étaient en tenue civile. Le rôle de chaque militant était de les remettre entre les mains du chef de famille concerné. À ma connaissance, aucun chef de famille concerné n'a failli à l'accueil. L'hébergement a duré une semaine ou 10 jours, je n'ai point de souvenir avec exactitude sur ce détail. Cette opération a été déclenchée à la fin de juin 1962 si l'on prend comme paramètre de calcul, l'hébergement qui a duré environ une semaine. À ce propos, ma famille a accueilli sept djounoud. Un djoundi de grade de sergent était chargé de leur rendre visite deux fois par jour, matin et soir, pour s'assurer de leur état moral et matériel. Quelques jours après, un djoundi s'est révolté d'être cloîtré dans ce domicile. Il a exigé d'être autorisé à sortir flâner dans la ville. Le sergent lui a fait rappeler le refus des hautes autorités militaires. L'ordre lui a été intimé de ne plus poser une telle question et de se conformer strictement aux or-dres de l'instance militaire. Deux paramètres, l'un positif, l'autre négatif, sont à relever sur cette question d'hébergement. - Le premier: généralement, les domiciles dans le Sud, pour la réception des invités, les salles sont conçues de telle sorte, que l'intimité familiale ne peut souffrir d'être dérangée. En effet, ces salles ont un accès directement sur la voie publique. L'invité accède directement à la salle sans déranger la vie familiale. Il faut dire qu'à cette époque les épouses étaient dans un total confinement. Elles ne pouvaient voir que quelques membres de l'entourage familial, triés sur le volet, figurant sur la liste arrêtée par le chef de famille. Un autre accès à cette salle des invités est prévu dans le domicile permettant à l'hôte de servir ses invités. Cet accès est généralement ouvert dans un long couloir qui met la famille à l'abri d'un quelconque dérapage d'un éventuel aventurier. - Le second: c'est que ces invités, malgré leur statut d'honneur mérité, sont tout de même étrangers au cercle familial lequel exige à cet effet, une surveillance quasi permanente, sans faille, que les valeurs traditionnelles ancrées fortement dans les profondeurs de l'âme sont explicites et auxquelles aucune dérogation ne peut être admise. Dans certaines familles aisées, la salle d'eau, y compris les toilettes, sont incluses dans la salle des invités, parfois dans le couloir à proximité de la salle des invités toujours en sauvegardant l'intimité familiale. Ces jeunes tourtereaux, de surcroît membres de la glorieuse Armée de Libération nationale pouvaient éveiller la curiosité, en se rendant aux toilettes à tour de rôle, au moins deux fois par jour et pour certains jusqu'à trois fois. Chaque invité de marque doit être accompagné, attendu à proximité pour être de nouveau raccompagné dans la salle des invités. Cette situation a suscité quelques désagréments pour les uns et les autres. Tard dans la nuit, le sergent est venu informer le groupe de se tenir prêt pour évacuer les domiciles. Il n'a pas omis de remercier chaleureusement l'hôte pour l'hébergement et l'accueil réservés aux djounoud auquel, mon père par exemple a simplement répliqué que c'était un devoir d'avoir accompli cette mission pour la Révolution. Le jour de l'indépendance, le 5 juillet 1962 au matin, la population bécharienne s'était réveillée avec la présence de djounoud de la glorieuse Armée de Libération nationale dans des treillis flambants neufs. Certains portaient des galons. Ils ont investi dans la discrétion et le secret les plus absolus, les établissements scolaires, écoles et lycées, (déjà, chaque été, durant les grandes vacances scolaires, on était habitué à voir, d'une part, les militaires français investir les écoles et d'autre part, ces soldats offrir des tablettes de chocolat aux enfants, notamment ceux de la Chaâba, (quartier limitrophe de l'école de garçons en face le cinéma Rex) Le siège du poste de commandement de l'Armée de Libération nationale avait pris place à quelques centaines de mètres du domicile de Si Abdelkamel, responsable politique de Béchar. Ce PC était situé dans une caserne libérée depuis le début de juillet par l'armée française qui s'est retranchée à la base de l'aviation française au flanc Nord-Ouest de la ville, au lieudit la Barga. Cette caserne était à la limite de l'oued à l'entrée du quartier de Debdaba. Cet oued sépare ce quartier du centre- ville habité par les européens, les juifs et quelques familles nanties algériennes originaires du Nord du pays. Beaucoup d'enfants et de femmes s'entassaient sur le trottoir en face de la caserne pour admirer ces responsables militaires, libérateurs de l'Algérie du joug colonial. La société frappée d'une soudaine amnésie La rumeur publique laissait circuler qu'une lumière divine entourait leur visage. Certains qui étaient arrivés à serrer la main à un responsable militaire ne cessaient de répéter ce grand honneur. Déjà, d'autres se prévalaient des relations privilégiées qui liaient leurs familles à celles de tel ou tel responsable militaire de la région. Une hypocrisie s'installa de pied ferme dans la société frappée d'une soudaine amnésie et pour toujours. En effet, durant la lutte de Libération nationale, quand une famille avait un membre connu pour avoir rejoint les maquis, elle devenait soudain infréquentable, y compris de la part de ses propres proches. Et voilà que l'indépendance recouvrée, les parents de ces maquisards se retrouvent inopinément entrelacés affectueusement souvent par des inconnus, couverts d'éloges et revêtus d'une manière inattendue d'un respect et d'égards dont ils ne pouvaient même pas en rêver. Voilà comment l'ALN que l'on surnommait l'Armée des frontières est entrée glorieusement dans Béchar. Aucun incident avec la présence militaire française n'est à signaler. Tout s'est très bien déroulé. Pour moi, il s'agissait de l'ALN puisque dans ses rangs, il y avait des membres de ma famille, des voisins, des amis, originaires de Béchar et de sa région qui en faisaient partie et connus de notoriété pour avoir rejoint les maquis. Pour certains, c'est l'OCFLN de Béchar qui a été à l'origine de leur évacuation vers les djebels lorsque leur vie était en danger, (imminente arrestation ou dénonciation flagrante etc..) Comme le dit si bien le proverbe grec: «Personne n'est l'ami de l'exilé et cela est plus cruel que l'exil», puisque juste après le 5 juillet 1962, vint la déferlante masse de réfugiés algériens venant du Maroc dans une indiscipline caractérisée en utilisant tous les accès frontaliers connus ou «clandestins» pour accéder au pays. Tout était permis, l'hébergement chez la famille, un cousin éloigné, un lointain ami, un compagnon d'armes, (car comme le souligne le proverbe latin: «L'exilé qui n'a de demeure nulle part, est un mort sans tombeau.» Mais là, c'est encore une autre affaire à relater et à décrire... * Moudjahid et fils de moudjahid,Ancien secrétaire de l'OCFLN