«Je ressentirais comme une humiliation que la conception d'un ouvrage de souveraineté soit réalisée par des étrangers.» D'abord «médusé» puis séduit, le président de la République écoutait très attentivement l'architecte algérien, M'hamed Sahraoui, qui lui présentait l'immense projet. Il s'agit de la Grande mosquée d'Alger. M.Bouteflika a confié alors à l'architecte algérien:«Vous m'avez convaincu». Mais par un incroyable retournement des choses, le concepteur de ce monument qui a séduit le président est aujourd'hui éliminé de la course. Pourtant, le président a été très enthousiaste lors de la présentation du projet et a même demandé à M.Sahraoui: «A quand la première prière?» Cela se passait le 10 juin 2000, lors de la Semaine du Coran. Depuis cette date, le dossier de la Grande mosquée d'Alger a été mis sous le coude. Le dossier étant déterré cinq années plus tard, toujours par le président de la République, le concepteur de ce monument, M.Sahraoui apprend, à ses dépens que le projet s'est internationalisé et les bureaux d'études algériens éliminés. Qui veux désavouer le président de la République? Pourquoi veut-on remettre en cause sa parole? Pourquoi veut-on absolument que la conception de ce projet se fasse par des étrangers? Dans quel intérêt? Autant de questions qui restent sans réponse, du moins pour l'instant. Lors d'une cérémonie au début de février, qui s'est déroulée à la Maison de l'imam de Mohammadia (Alger), le ministre des Affaires religieuses annonce que vingt sociétés multinationales ont d'ores et déjà fait leurs offres pour les études et la réalisation de cette immense infrastructure unique au monde. Il informe que sur les vingt offres réceptionnées, dix au moins répondent aux exigences techniques et aux critères rigoureux élaborés par les autorités. Il s'agit, notamment, d'entreprises nord-américaines, européennes et asiatiques. Indirectement, les bureaux d'études algériens sont «éliminés de la course». Les exigences imposées pour la soumission sont telles qu'il est impossible à un bureau d'études algérien d'y prétendre. Qu'en en juge: il est stipulé dans le cahier des charges au chapitre A, portant taille du BET, que le personnel cadre, ingénieurs et experts permanents, doit être supérieur à 500. Aucun bureau d'études algérien n'a un effectif pareil. Le plus grand bureau d'études en Algérie étant celui de M.Sahraoui et il ne comprend que 70 architectes et experts. Dans le chapitre B du même cahier des charges, il est exigé que le chiffre d'affaires du bureau soumissionnaire doit être supérieur à 100 millions de dollars américains. Enfin, pour clore la liste «de cette barrière infranchissable», le chapitre C exige que le consultant doit être spécialiste dans le pilotage des grands projets d'infrastructures, d'architecture, d'oeuvres d'art et ...des technologies de l'information et de communication (sic!). L'idée même de confier ce projet à un bureau d'études étranger agace cet architecte algérien disciple du concepteur de Brasilia, Oscar Niemeyer. Encore une fois nous allons rester spectateurs», s'est-il irrité. «Il s'agit d'une humiliation suprême, inacceptable faite à l'endroit de l'ensemble de nos architectes et du génie de notre peuple.» L'idée de la conception a germé chez Sahraoui suite à une commande faite par l'association religieuse présidée par l'ex-ministre des Affaires religieuses, Abderrahmane Chibane. «J'ai été honoré par cette proposition et j'ai fait la conception gratuitement pour mon pays». «Le projet a été présenté au président de la République lors de la Semaine du Coran et au bout de vingt minutes de discussion il en a été séduit », affirme l'architecte. M'hamed Sahraoui n'a pas de document attestant que la conception du projet lui est accordée. Il a juste l'acquiescement du président. Apparemment, cela ne suffit pas...