Après des consultations au pied levé avec Paris, Riyadh puis Ankara et sur l'évolution de la situation en Libye, la diplomatie algérienne a imprimé une certaine sérénité à la question mémorielle avec la France. Le président Tebboune et son homologue Macron avancent, prudemment, sur le terrain escarpé de l'apaisement. Le dossier de la mémoire dont les négociations ont battu des records de durée empoisonne les relations entre les deux pays depuis 58 ans. Sept mois après sa prise de fonction, le président Abdelmadjid Tebboune fait ressourcer la diplomatie algérienne et donne du tonus à l'action du ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum. Après les polémiques diplomatiques, il souhaite aller de l'avant sur tous les dossiers avec les grands partenaires de l'Algérie comme il compte également s'impliquer dans les crises du voisinage immédiat, en, Libye et au Mali, notamment. Les événements survenant à l'échelle régionale et internationale et traduits par des conflits acerbes ont permis d'apprécier le pragmatisme d'une diplomatie algérienne volontariste et visionnaire. À quelque chose malheur est bon, dit l'adage. L'aggravation de la crise libyenne a été une occasion pour l'Algérie de hisser à nouveau ses couleurs dans la géopolitique régionale. Le sommet international sur la Libye tenu à Berlin a consacré à sa manière le regain d'intérêt autour d'une action extérieure de l'Algérie, que la longue ma-ladie de l'ex-président Abdelaziz Bouteflika avait condamnée à l'immobilisme. L'Algérie a été le seul Etat du Maghreb - hors les délégations libyennes - à prendre part à ce grand rendez-vous. C'est une reconnaissance de son poids et de son rôle pivot, incontournable, dans la région. Rappelons-nous, en prélude à ce grand rendez-vous, Alger a été le théâtre d'un intense ballet diplomatique international. La visite du Premier ministre italien Giuseppe Conte à Alger a été précédée des MAE turc, égyptien et italien. L'avantage des rencontres informelles Dans son souci de maintenir un équilibre apparent, l'Algérie a également reçu les deux camps rivaux: Fayez el Serraj, le chef du «gouvernement d'accord national» (GAN) basé à Tripoli ainsi qu'une délégation du gouvernement rival basé en Cyrénaïque (est) soutenant le maréchal Khalifa Haftar, le patron de l'Armée nationale libyenne (ANL). À tous ces visiteurs, les autorités ont répété le double credo de la diplomatie algérienne sur le dossier libyen: «Refus des ingérences extérieures» et promotion de solutions politiques basées sur «un dialogue national inclusif». «On ne peut arrêter le cours de l'Histoire», rappelle un observateur sagace des questions diplomatiques pour souligner qu'en faisant appel à l'histoire contemporaine, l'Algérie a toujours influencé les événements au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Avec le tandem Tebboune-Boukadoum, «l'Algérie est en train de se hisser, de se développer, de retrouver sa dynamique diplomatique», tranche le même observateur. Depuis plus de sept mois, certaines analyses relayées par les médias, font abstraction de l'importante action du président Tebboune et son ministre des Affaires étrangères sur le plan extérieur. Pas un mot univoque! Pour notre source, les deux principaux acteurs de la diplomatie algérienne ont l'obligation et le devoir de jouer ce rôle-là, conformément aux traditions diplomatiques algériennes. Pour l'histoire, le poids de l'Algérie et son ascendant sur un certain nombre de dossiers ont toujours été décisifs, si bien que plusieurs sommets régionaux et internationaux adoptent sans sourciller les orientations algériennes et recommandent l'ouverture de négociations ainsi que l'organisation de contacts directs entre les belligérants, à l'instar du Mali et de la Libye. Forte de ces succès, la diplomatie algérienne assignera une nouvelle orientation aux conflits régionaux en les soumettant aux instances de l'ONU, de l'Union africaine et des mécanismes régionaux. Elle a employé pour ce faire une démarche progressive. Le président Tebboune a bien assimilé le principe de base de la diplomatie selon lequel on n'engage jamais les discussions, si les enjeux ne sont pas clairement énoncés et s'il risque d'y avoir un malentendu. Plus encore, il n'hésite pas à s'entourer de spécialistes sachant que souvent la partie ne se joue pas seulement dans des salons feutrés. Rien ne vaut les rencontres informelles pour rapprocher les positions. À ce titre, le rappel des hommes de la république et le maintien des compétences diplomatiques sûres ont été d'un grand apport, notamment sur la scène politique de ce pays voisin. Boukadoum : un diplomate au long parcours Eu égard à son expérience historique, «la médiation algérienne est le seul mécanisme à même de régler la crise libyenne définitivement», nous a indiqué notre source. La situation en Libye aujourd'hui est telle que le Conseil de sécurité de l'ONU doit être ferme pour annihiler les promoteurs du chaos libyen et toute la faune qui se nourrit de cette instabilité. Un point d'orgue distingue encore la diplomatie algérienne version Tebboune-Boukadoum, au moment où, a contrario, la malhonnêteté intellectuelle soutient l'inverse: l'Algérie ne fait pas du suivisme une ligne de conduite. « Personne ne nous imposera un fait accompli», a répliqué avec détermination le président Tebboune lors de sa dernière rencontre avec les médias nationaux en évoquant le dossier libyen. C'est dire que les principes auxquels l'Algérie est puissamment amarrée ne relèvent pas d'une simple vue de l'esprit mais tirent leur sève du passé historique, son leadership régional à l'indépendance, mais aussi et surtout de la dure épreuve de la décennie noire. Un haut fait qui a davantage forgé l'intelligentsia diplomatique nationale et permis au technocrate Sabri Boukadoum d'être sous les feux de la rampe dans tous les foras pour porter la voix algérienne. Pour reconquérir l'histoire, l'oeuvre de la nouvelle Algérie, le président de la République s'appuie sur une politique résolue de restauration de l'image du pays, qui a tant souffert de la maladie de l'ex-président. Dans son environnement immédiat, l'Algérie s'investit pleinement dans la recherche de solutions politiques au Mali et en Libye, convaincue de l'indivisibilité de la sécurité, de l'imbrication des intérêts et du destin commun des pays de la région. Ainsi, son approche repose sur trois principes, à savoir: la solution pacifique en rejetant la solution militaire; le cessez-le-feu et le lancement de négociations, avec le refus de toutes ingérences étrangères; l'arrêt de l'afflux des armes ainsi que le respect de l'embargo sur les armes en Libye. C'est dans l'ordre des choses que le président Tebboune a proposé, au début de l'année en cours, d'accueillir les discussions inter-libyennes pour une sortie de crise rapide. En proposant de réunir à nouveau sur son sol, les protagonistes de la crise libyenne, Alger est consciente qu'un enlisement de la crise libyenne pourrait à long terme, déstabiliser une grande partie de la région. Cela peut déclencher des déplacements de population. Ce sont des effets dominos préoccupants. La médiation algérienne En outre, l'Algérie est aussi préoccupée par les risques d'une confrontation entre certaines puissances étrangères en Libye, ce qui pourrait l'affecter. C'est que l'Algérie jouirait d'une certaine crédibilité en raison de sa neutralité. «L'Algérie n'a pas de parti pris et connaît tous les acteurs. Sa neutralité est un atout. L'Algérie a plus de chances d'être écoutée en Libye que d'au-tres qui ont un parti pris. L'Algérie peut donc parler avec les différents protagonistes et cela est un atout important», soutient notre analyste. Enarque, Sabri Boukadoum, 62 ans, est un pur produit de l'école de la diplomatie algérienne. Pour nombre d'observateurs, il représente un véritable atout entre les mains du président Tebboune. Boukadoun a passé plus de 40 ans au service de la diplomatie algérienne. Représentant permanent de l'Algérie auprès des Nations unies depuis mars 2015, il a occupé le poste de directeur général des Amériques au ministère des Affaires étrangères de l'Algérie, de novembre 2009 à 2013. Auparavant, il était ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l'Algérie auprès de la République du Portugal, d'octobre 2005 à août 2009. De novembre 2001 jusqu'à 2005, Boukadoum était directeur général du protocole au ministère algérien des Affaires étrangères. De novembre 1996 à septembre 2001, il a également été ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l'Algérie auprès de la République de Côte d'Ivoire. Il a aussi occupé les fonctions de directeur des affaires politiques de 1993 à octobre 1996. Autre atout, Boukadoum passe bien auprès des connaisseurs, notamment dans le département des AE comme le ministre affable et compétent diplomate.