Le Premier ministre désigné, Hichem Mechichi, a annoncé dans la nuit de lundi à mardi la composition de son gouvernement, le second en six mois en Tunisie, composé de «compétences indépendantes», qui doit encore obtenir l'approbation du Parlement dans les jours à venir. Après des consultations, il a été décidé de former «un gouvernement de compétences indépendantes qui travaillera à concrétiser des réalisations dans les domaines économique et social», a-t-il déclaré devant la presse. De nombreux partis parlementaires se sont dit mécontents d'avoir été écartés du cabinet, tout en évoquant la nécessité de voter la confiance à ce gouvernement pour éviter d'entraîner le pays, déjà à la peine économiquement, vers des législatives anticipées. Ce gouvernement, qui ne comprend que quelques ministre sortants, compte huit femmes sur 28 ministres et secrétaire d'Etat, dont nombre sont peu connus du grand public. Le ministère de l'Economie a été confié à un patron de banque, Ali Kooli, et les Affaires étrangères à Othman Jarandi, un diplomate de carrière ayant déjà occupé ce poste en 2013 avant d'être conseiller diplomatique du président tunisien Kaïs Saïed. Le ministre de la Défense, Ibrahim Bartagi, est un universitaire, selon plusieurs médias. M. Mechichi, un énarque de 46 ans, fait ainsi fi des appels du parti d'inspiration islamiste Ennahdha et de ses alliés, les islamistes de la coalition al Karama et le parti libéral libéral Qalb Tounes, à former une équipe politique comprenant des membres des différents partis. Hichem Mechichi est le troisième chef du gouvernement désigné depuis les élections législatives d'octobre 2019, qui avaient accouché d'un Parlement éclaté en une multitude de formations antagonistes. Le principal parti, Ennahdha, n'a qu'un quart des sièges, et peine à former une coalition. Un Premier ministre choisi par Ennahdha avait échoué en janvier à convaincre une majorité de députés. Le chef du gouvernement actuel, Elyes Fahfakh, nommé par le président Kaïs Saïed, a été poussé à la démission en juillet par Ennahdha, sur fond de soupçon de conflit d'intérêt. M. Mechichi, actuel ministre de l'Intérieur, a lui aussi été choisi par M. Saïed, mais son cabinet ne com-prend que quelques ministre sortants. Le sort du gouvernement doit être décidé lors d'une session exceptionnelle du Parlement dans les dix jours qui viennent. Le gouvernement devra alors obtenir le soutien d'au moins 109 députés sur 217. A défaut, le président Saïed, très critique du système parlementaire partisan, pourrait dissoudre l'Assemblée et déclencher des élections anticipées pour début 2021. Les partis, et notamment Ennahdha, sont soucieux de l'impact d'une telle crise sur l'opinion publique, déjà exaspérée par les chamailleries politiciennes qui agitent le Parlement, alors que les finances du pays sont préoccupantes. Cette réticence est accentuée par des sondages évoquant une percée d'un petit parti anti-islamiste, le PDL, en cas d'élections. Ennahdha et Qalb Tounes, qui détiennent à eux deux 81 sièges, n'ont pas encore pris clairement position. Le chef d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, tout en critiquant fermement le choix d'écarter les partis, une décision peu démocratique selon lui, a reconnu dimanche que ces derniers pourraient se résoudre à soutenir le gouvernement pour éviter un nouveau scrutin. «Rejeter ce gouvernement est un problème car cela laisse le pays dans le vide, et voter pour lui est un problème aussi car le gouvernement ne représente pas les partis ni le Parlement», a-t-il déclaré. Près de dix ans après la révolution, la jeune démocratie tunisienne est fragilisée par les luttes de pouvoir paralysant la vie politique, et la précarité de son économie, aggravée par la pandémie qui a fait disparaître des milliers d'emplois. Le président Saïed, un universitaire sans expérience du pouvoir largement élu en octobre 2019 sur fond de défiance envers la classe politique aux affaires depuis la révolution de 2011, a fait des questions sociales sa priorité. Outre la gestion du rebond du Covid-19, le gouvernement devra reprendre les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI), dont le programme quadriennal a expiré au printemps, s'attaquer au chômage atteignant désormais 18%, et tenter de réformer l'important secteur public, largement déficitaire. S'il convainc la majorité des députés, reste à savoir quelle sera sa marge de manoeuvre, étant donné la difficulté à rassembler une coalition gouvernementale solide parmi des partis peu enclins au compromis.