Au lendemain d'une déclaration du président Kaïs Saïed qui a vertement critiqué le récent remaniement opéré par le Premier ministre Hichem Mechichi, la session plénière du Parlement consacrée, hier, au vote de confiance rendu nécessaire par l'arrivée de douze nouveaux minis-tres plus ou moins controversés aura donné lieu à un débat houleux au moment où le pays est en proie à une vague de contestation et de manifestations ainsi qu'à une recrudescence inquiétante de la propagation du nouveau coronavirus. Le chef de l'Etat tunisien a reproché au gouvernement Mechichi de receler des titulaires qui pourraient faire l'objet d'enquêtes, voire de poursuites, judiciaires et, comme à son habitude, il a réaffirmé que seules peuvent siéger, dans les plus hautes institutions, des personnes sans peur et sans reproche, et non des «corrompus», passés à travers les mailles du filet judiciaire. Un discours qui avait galvanisé les jeunes en octobre 2019, entraînant l'ascension fulgurante de celui qui fut baptisé, alors, le «météore politique».Les échos se sont dilués, depuis, dans la grande déception et la révolte grandissante de toute cette jeunesse, frappée de plein fouet par la crise socio-économique. En témoigne la présence, hier, devant les portes de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), d'une trentaine d'associations, venues dénoncer, tout à la fois, une stratégie de «répression policière» pratiquée par le gouvernement Mechichi, afin de contraindre les violentes protestations nocturnes qui ont agité la capitale et plusieurs autres villes du pays, et la marginalisation grandissante des catégories sociales les plus démunies, à l'heure d'un Covid-19 triomphant. Cette session parlementaire s'est ouverte le lendemain même de violents affrontements entre les forces de police et de jeunes manifestants à Sbeitla, un des hauts lieux de la contestation, dans une des régions les plus précarisées du pays, et où un jeune est mort, la semaine dernière, touché par une cartouche de gaz lacrymogène utilisé par la police pour contenir les manifestations. Anticipant la fronde, les autorités ont déployé, autour du Parlement, un vaste dispositif policier, ce qui a fait réagir un député: « un vote de confiance sous un siège policier, ça n'a jamais été fait dans aucun pays. Il ne manque plus que de voter sous la menace d'un bâton.» Plusieurs jours avant l'ouverture du débat parlementaire sur le remaniement opéré, le 16 janvier dernier, par Mechichi et qui a concerné, entre au-tres, les départements de l'Intérieur, de la Justice et de la Santé, les formations politiques dominantes au sein de l'ARP, à savoir la troïka constituée du parti islamiste Ennahdha de Rached Ghannouchi, la coalition islamiste al Karama et le parti Qalb Tounes de Nabil Karoui, ont exprimé de sérieuses réserves à l'encontre de certaines nominations, laissant entendre que, par-delà les griefs qui les opposent au président Kaïs Saïed apparaissent d'autres sujets qui fâchent avec le Premier ministre, pourtant enclin à solliciter leur onction. Raison pour laquelle le président Saïed a donné libre cours à sa colère, en recevant Ghannouchi et Mechichi, lundi soir, réfutant l'équipe «harmonieuse et efficace» vantée par celui-ci, dénonçant l'absence de femmes parmi les nouveaux ministres, et accusant l'un d'eux d'être «lié à une affaire de corruption» et trois autres de cacher «un conflit d'intérêt», sans autres précisions. Et pendant ce temps-là, le Covid-19 poursuit sa progression et met à rude épreuve un système hospitalier au bord de la crise de nerf!