Les baies d'Alger de Hassen Ferhani est de loin celui qui témoigne de façon pertinente de l'image de la société algérienne... Filmer l'Algérie telle qu'elle est vécue aujourd'hui par les Algériens et non pas telle qu'elle est véhiculée par les médias étrangers, telle était la gageure de ce workshop cinématographique. Initié à Alger après deux ans de préparation par Katia Kameli, une jeune vidéaste, diplômée de l'Ecole des Beaux-arts de Bourges, ce projet a rassemblé 5 jeunes cinéphiles qui, dimanche dernier, à la filmothèque Mohamed-Zinet, à Riadh El Feth, ont présenté le fruit de leur travail durant un mois (du 10 mars au 10 avril). Un travail qui a consisté à se familiariser d'abord avec les techniques audiovisuelles et cinématographiques puis de se lancer dans l'aventure : adapter son scénario durant la courte durée qui leur échoit, le réaliser puis le monter grâce à Myriam Ayaçaguer sans oublier Stephan Broc, ensuite le projeter au public. Une belle initiative d‘autant qu'on n'a pas l'habitude de filmer l'Algérie contemporaine avec autant de fraîcheur, de simplicité et de vérité. Jugez-en Khod et'roli wa choff est le premier film projeté de la jeune Amina Zoubir. Timide au départ, hésitant à filmer les gens dans les yeux, Katia nous confiera que cette jeune demoiselle a fait un pas énorme durant son travail. Notons qu'elle est la seule à avoir porté la caméra sur les cinq jeunes réalisateurs en herbe. Son court métrage a voulu capter le réel à travers un voyage en bus pour cerner le quotidien des Algériens, dans un rapport de proximité. Certains refusaient de se faire filmer, d'autres faisaient les beaux. Entre agacement et désinvolture, les Algériens, en témoignent ces images, ne sont pas encore prêts à se regarder dans le miroir. Football de Kader Ensaad décrit quant à lui, la vie d'un petit môme dans la cité. Un éveil plutôt souriant, il prend son lait dans la cuisine avec sa maman-interprétée par Katia Kameli qui décidément a été de tous les fronts pour l'aboutissement de ce projet - jusqu'à ses jeux dans l'aire de la cité au ballon et notamment ces ballons de fortune fabriqués à l'aide de sachets de lait. Souvenir, souvenir... Plus obscur est le film de Guizlane Cherfedine. Il met en scène Yazid, interprété par Khaled Benaïssa, architecte qui se rend chez lui après une longue absence. Il est ainsi confronté à son passé. Des images douloureuses reviennent à la surface. La mort de son père, « lâché par sa famille » suite au tremblement de terre, lui qui n'a pas voulu quitter sa maison... Le film oscille entre flash-back et monologue amer... un film qui traite en effet d'un sujet d'actualité brûlant... le deuil des absents. Largement plus drôle, le film réalisé par le comédien, le trublion Khaled qui a ainsi su bien incarner un rôle pour une fois moins comique, revient à sa nature dans le film qu'il a signé, Babel. A travers un taxi collectif algérois, un dialogue de sourds s'organise autour d'une soi-disant « tchitchi », francophone, d'un Kabyle bègue qui n'a de cesse de demander au chauffeur de taxi le score de la Jeunesse sportive kabyle, puis l'heure. En vain. Le chauffeur qui entre-temps s'était mis de la chemma dans la bouche ne répond pas, jusqu'à faire sortir de ses gonds le bègue qui descend du taxi. Scène cocasse à laquelle on ne s'attend pas : quand la «tchitchi» demande au chauffeur pourquoi il ne répondait pas, celui-là, en jetant sa «chemma» s'avère être un bègue lui aussi !Arrivons au dernier film projeté. Celui-là à notre sens mais aussi de l'avis de la majorité, est de loin le meilleur et le plus réussi. Il s'agit de Baies d'Alger de Hassen Ferhani. Ce film est une audioscopie d'Alger dans un long panorama de la ville faite de manière intelligente. L'oeil de la caméra scrute différents bâtiments et quartiers du centre et nous rapporte l'écho de ce qui se dit à l'intérieur des maisons. De loin donc c'est comme si nous y étions, nous écoutons les conversations des uns et des autres avec attention. C'est là toute la gageure de ce film, le t'ekerâidj étant légion chez nous ! Alors plusieurs conversations viennent à notre oreille : deux jeunes houmistes parlent du problème du chômage, une fille qui se fait importuner par un inconnu séducteur au téléphone, on papote chiffons, coiffure dernier cri chez Jacques Dessange, entre filles, mais aussi, nous parvient le son de la télé, une scène d'engueulade entre un frère possessif et sa soeur, un trabendiste affairiste qui évoque ses containers. L'image de l'import/ import très en vogue en Algérie, l'immigré kabyle qui évoque le retour au bled avec son interlocuteur... le tout accompagné d'un sous-titrage en arabe populaire pour les paroles en français et en français pour le langage arabe. Bref ce sont des miniportraits de la société algérienne à travers une vision de sa composante humaine et son corollaire comportemental spécifique à l'Algérie. C'est ce qui fait en effet l'originalité de ce film ô combien pertinent. Un travail assez méritant cela dit pour l'ensemble des jeunes réalisateurs où l'on a senti un intérêt particulier accordé à la langue dans toute sa complexité, témoignant ainsi d'une véritable approche sociologique de l'Algérie par ses images. De l'humour forcément qui ne nous aura pas échappé. Exemple: comment transcrit-on Champ de manoeuvres hélé par un chauffeur de bus? «chamma 9» bien sûr!