Une «guerre» sans merci contre un «puissant lobby» au sein de la filière du médicament est déclarée. La nouvelle formule de remboursement des médicaments par la Cnas entre en vigueur demain. Appelé tarif référentiel, cette nouvelle approche des pouvoirs public impose un niveau plafond de tout type de médicament, au-delà duquel l'assurance sociale ne remboursera pas le malade. Il est entendu que les prix seront indexés sur les produits les moins chers actuellement sur le marché, qui se trouvent être les médicaments génériques produits localement. Cette procédure, outre qu'elle allège les dépenses de l'Etat en la matière, participe à tarir la sources des importateurs qui, habituellement proposent des produits jusqu'à trois fois le prix pratiqué par les producteurs nationaux. Jusqu'à l'avènement du «tarif préférentiel», une grande partie des médicaments importés était remboursée rubis sur l'ongle par la Cnas. A partir de demain, cela ne sera plus le cas. De fait, les laboratoires étrangers vont au-devant d'une perte sèche de plusieurs dizaines de millions de dollars. Autant pour les importateurs, qui verront leurs «marchandises» connaître une sévère mévente, du seul fait que les citoyens réclameront aux officines les médicaments «totalement» remboursables. Estimé à près d'un milliard de dollars en 2005, le marché des médicaments importés a toujours constitué une manne financière considérable pour les importateurs et les laboratoires étrangers qui les fournissent. Mettant en place un véritable «réseau», certains bénéficiaires de ce gigantesque marché n'ont pas hésité à user de moyens peu «orthodoxes» pour placer leurs produits dans les officines, tout en assurant leur commercialisation au point de prendre 80% du marché, ne laissant que 20% au générique. La nouvelle norme de remboursement est un sérieux coup porté à «l'organisation» qui perd, de fait, un argument de taille pour l'écoulement de la «marchandise». Cela dit, l'entrée en vigueur de cette procédure ne sera pas sans susciter une réaction des importateurs qui vont vraisemblablement tenter une «contre-offensive», histoire de faire pression sur le gouvernement pour l'amener à faire marche arrière. Lors de son passage jeudi dernier au forum d'El-Moudjahid, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, M.Tayeb Louh est revenu sur cette question. Sur un ton dur, le ministre a tenu à éclaircir les choses et préciser que cette nouvelle politique est initiée par le gouvernement. «C'est une décision nationale», s'exclame-t-il pour répondre directement à ceux qui contestent cette démarche. En termes plus clairs, le ministre affirme que cette politique «est dans l'intérêt de l'Etat, du citoyen et des opérateurs économiques qui respectent les règles du jeu». M.Louh ne s'est pas arrêté là, il est allé jusqu´à mettre en garde tous les opérateurs et même les officines qui ne respecteront pas la loi. Le ministre affirme son intention de recourir à des sanctions. D'ailleurs, cinq officines conventionnées avec la Cnas sont menacées de résiliation de contrat. «Nous allons combattre, avec rigueur, toutes les formes de corruption», promet le ministre avant d'ajouter: «Tant que je suis à la tête du secteur, je ne tolère pas qu'il y ait dépassement dans la gestion des affaires sociales». Il a été jusqu'à divulguer quelques irrégularités, relevant que les prix de certains médicaments ont connu une hausse de 150%. «Le temps du marchandage est fini», lâche le ministre en affirmant que le moment est venu de remettre les pendules à l'heure et orienter le marché du médicament de manière à encourager la consommation du générique. La déclaration du ministre, qui intervient à la veille de l'inauguration par le chef de l'Etat de l'usine Saidal d'insuline, a le mérite d'être claire. Elle annonce une «guerre» sans merci contre un «puissant lobby» qui a fait la pluie et le beau temps au sein de la filière du médicament, allant jusqu'à dicter parfois la marche à suivre et se sucrer au passage sur les fonds publics, en dénigrant l'usage du générique, alors que c'est là une option stratégique des pouvoirs publics depuis des années. A ce propos justement, Tayeb Louh regrette que la consommation du générique reste toujours faible et ne dépasse pas les 20% dans notre pays. C'est dans l'objectif d'encourager le générique et en même temps la production nationale, précise-t-il, qu'il a été décidé de passer à l'application des tarifs de référence. Même si cette politique n'arrange pas les laboratoires de médicament, le ministre reste déterminé et ne compte guère faire un pas en arrière. De telles déclarations laissent déduire que le courant passe mal entre les importateurs du médicament et le gouvernement. De gros intérêts sont en jeu, les opérateurs pourraient, donc, interrompre les importations du médicament pour faire pression sur le gouvernement. Ce qui risque de créer une pénurie du médicament sur le marché national dans les prochains jours. Cela dit, une source proche de Saidal indique qu'«en cas de perturbation du marché du médicament, il n'est pas exclu que Saidal envisage la possibilité d'importer les médicaments qui font défaut». Ainsi, dans ce bras de fer qui s'annonce, l'Etat bénéficie du soutien du leader national du médicament qui semble décidé à ne pas laisser les importateurs imposer leur loi aux citoyens.