La culture chez nous est à l'agonie et ses artistes, en souffrance, se meurent presque dans l'anonymat. Jusqu'à quand? Alors qu'un Sid Ahmed Agoumi se «refait» une carrière en France en raflant prix d'honneur et autres distinctions, chez nous l'artiste ploie sous le poids de la misère et la médiocrité ambiante. Les artistes sont dispersés et la création étouffée. Au mois de mai dernier, Mustapha Badie recevait lors d'une réception donnée en son honneur au TNA, un micro-ordinateur pour écrire ses mémoires. Ce fut un hommage in extremis qui lui a été rendu, car l'artisan de l'inoubliable fresque télévisée L'Incendie n'a pas eu le temps d'écrire, ne serait-ce qu'une introduction. D'autres artistes s'en vont presque sur la pointe des pieds et meurent dans l'indifférence et le mépris les plus complets. Silence radio à l'horizon. Des gens dont on se rappelle qu'après leur mort et qu'on célèbre, tardivement à coups d'hommages et de cérémonies commémoratives. Triste constat hélas. Pas une âme charitable qui daigne accompagner le «pauvre» artiste jusqu'à sa dernière demeure lui prêter assistance, ni même venir lui rendre une simple et dernière visite. Cela est valable pour les deux camps, celui des artistes et des autorités. Pas tous, heureusement. Un a décidé de réagir en lançant un appel de détresse à tous ceux qui veulent bien «l'écouter». Il s'agit de Mohamed Kerbah, producteur et animateur à radio El-Bahdja et qui consacre une émission sur le chaâbi intitulée Ziara Khfifa (tous les lundis de 21h à 23h). M.Kerbah a pris attache avec nous afin d'informer l'opinion publique sur l'état très critique de Mohamed Bouchimi notamment, le scénariste des célèbres films, Imraâtaine (Deux épouses) et Aïla Mitla Enass (Une famille comme les autres) avec Atmane Ariouet dans le rôle principal. Deux films cultes que tout le monde connaît et qu'on voit régulièrement à la télé. Scénariste de renom, il a écrit beaucoup de pièces théâtrales qui ont été jouées au niveau du Théâtre national algérien et d'autres en Europe. 2 ou 3 de ses pièces ont même été reprises au théâtre de Rome. Au moment où M. Kerbah nous parlait de son ami et voisin, ce grand homme de la culture algérienne, Mohamed Bouchibi, subissait une opération délicate à l'hôpital Baïnem, après avoir été hospitalisé il y a un mois à l'hôpital Maillot pour un cancer de l'estomac. « Il est démuni », nous apprend-il. En effet, M.Bouchibi figure sur la longue liste des sinistrés ayant été gravement touchés lors des tragiques intempéries. Très affecté par le drame que vient de subir son ami et voulant lui venir en aide, M.Kerbah nous déclare: «Ayant eu l'occasion de rencontrer M.Sahraoui, secrétaire général du ministère de l'Information et de la Culture, ce dernier a été très sensible à ce que je venais de lui annoncer. Il m'a orienté vers un monsieur, convaincu que ce dernier allait bien s'occuper de son cas et prendre en main la situation. Juste après j'appelle. Il était midi trente... Pour moi, quelqu'un qui ne veut pas être dérangé, soit il prétend qu'il est absent, soit il décroche son téléphone. Quand je lui ai soumis le problème, voilà comment il me répondit avec dédain et beaucoup d'agressivité dans la voix: Ne me dérangez pas, je suis en train de manger !» Je lui ai rétorqué: «Au moment où vous mangez quelqu'un d'autre est en train de subir une ablation de l'estomac». Comble de l'absurde. La réponse abjecte de ce haut placé dit tout le mépris affiché à l'égard de nos artistes et est le reflet, hélas, de la «sale» image qu'ont certaines de nos administrations, gangrenées qu'elles sont, par un profond laxisme de leurs dirigeants. Et l'on s'étonne du gouffre dans lequel est tombée notre culture. N'en subsistent qu'une quantité « résiduelle » et des velléités qui tentent de s'accrocher contre vents et marées. Sans parler du statut de l'artiste qui reste à définir. Déçu, M.Kerbah l'est profondément par cette vile réaction émanant de cet homme, censé, pourtant, venir en aide aux artistes en difficulté. Rien de cela n'a été fait. «Des gens qui ont bâti notre identité culturelle et voilà comment on les récompense. Ça vous coupe toute envie d'écrire, de chanter ou de réaliser quoi que ce soit...» Autre artiste se trouvant dans la même situation de précarité, Yahia Benmabrouk, un géant du cinéma algérien, «qui a fait toute l'épopée du TNA», plus connu sous son nom d'artiste: L'Apprenti, aux côtés de «L'inspecteur Tahar». Celui qui a fait les beaux jours du Théâtre algérien en travaillant avec Mustapha Kateb et Mahieddine Bachtarzi, jouant aussi dans pratiquement toutes les pièces de Rouiched souffre aujourd'hui d'hémiplégie. Tout le monde a en mémoire Le Clandestin de Ben Amar Bakhti. 20 ans après la mort de son complice, «L'Inspecteur», on rit à chaque fois qu'on regarde le film ( Les aventures...) avec un plaisir toujours renouvelé. «Et tous ces gens qu'il a fait rire en leur apportant un peu de gaieté et de joie dans leur vie et leur foyer, où sont-ils»? Cela nous amène à réfléchir sur le sens du mot : mobilisation. Ne dit-on pas que l'avenir d'un pays repose sur sa culture?... Cela est donc une question de vie ou de mort!