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«Le temps est rebelle dans notre société»
Karim Akouche, à l'Expression
Publié dans L'Expression le 10 - 02 - 2021


Par Lamine BENALLOU
L'Expression: Une présentation de votre itinéraire personnel et intellectuel, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas...
Karim Akouche: Je suis arrivé au monde seize ans après l'indépendance de l'Algérie et dix ans avant la chute du mur de Berlin. Je suis né au creux du Djurdjura, dans un village minuscule en forme d'écuelle, Kantidja, abritant à peine sept cents âmes; cerné, d'une part, de la rivière de Boghni et de l'autre, de la forêt de Boumahni. Celle-ci, de par sa densité presque primitive, a servi paradoxalement de refuge aussi bien aux maquisards de la guerre de libération qu'aux terroristes islamistes pendant la décennie noire. J'y allais, malgré les risques, chercher du bois, chasser des grives, cueillir des arbouses. Je n'étais pas destiné à devenir écrivain, car, enfant et adolescent, j'aimais surtout les maths et les arts plastiques. Puis, influencé par ma mère, potière et amoureuse de la poésie kabyle et de la musique ancienne, je me suis retrouvé à troquer les équations et les chiffres contre les lettres. L'élément déclencheur fut double: la marginalisation de ma langue maternelle et l'exclusion de la femme du jeu civil. L'acmé de ma frustration fut atteint en 1995 pendant la grève du cartable. Je me suis alors mis à rafistoler des poèmes intimistes où je jappais littéralement contre la pieuvre à deux ventouses, l'islamisme et le militarisme, qui mettait à braises et à sang la terre de mes ancêtres.
Vous êtes l'auteur de déjà plusieurs romans et d'un essai. Vous pouvez les présenter aux lecteurs d'Algérie Cultures?
J'ai écrit, entre autres, un cycle romanesque, que j'ai baptisé «triptyque de la dépossession», composé de La religion de ma mère (dépossession du passé), Allah au pays des enfants perdus (dépossession de l'avenir) et Déflagration des sens (dépossession du présent); un essai adapté au théâtre et joué au festival d'Avignon, Lettre à un soldat d'Allah - Chroniques d'un monde désorienté; un conte, J'épouserai le Petit Prince; et Toute femme est une étoile qui pleure, un chant poétique joué à Montréal, à la Place des Arts et au théâtre La Chapelle.
Parlons un peu de votre façon d'écrire: la forme, le rythme, votre style qu'on qualifie parfois de «tir à la mitraillette»... Pouvez-vous nous en dire davantage? Comment concevez-vous l'acte d'écriture?
Sont importants dans l'acte d'écriture aussi bien le fond que la forme. Tout sujet doit épouser sa propre forme. J'entends par forme, le rythme, la voix, la longueur de la phrase, la ponctuation, le point. Parfois, c'est le point qui est plus important que le mot. C'est comme le silence dans le théâtre et la musique, ou l'ombre dans la peinture. Avant de me lancer dans un chantier d'écriture, je dois au préalable trouver le ton exact, et cela peut prendre beaucoup de temps, et parfois, pour y parvenir, je dois parcourir des centaines de kilomètres. Je n'ai pu écrire mon prochain livre qu'après avoir avalé 4000 km de marche. C'est aussi une question de dosage, un jeu d'équilibriste; car l'art d'écrire est délicat, il faut dire seulement ce qu'il faut, et cela doit être soupesé, éviter de dire trop et pas assez. L'écrivain, le vrai, le styliste, est un funambule, car il sait qu'un mot mal choisi, ou mal placé, risque de gâter tout le numéro, le paragraphe. C'est le poète haïtien Gary Klang qui, en lisant La religion de ma mère, a qualifié ma manière d'écriture de «style mitraillette», ou «style coups de fouet».
Revenons à votre dernier roman, Déflagration des sens. Provocateur, subversif, insolent, du sexe... Le héros transforme son minibus en bordel ambulant. Qu'y a-t-il derrière toute cette subversion?
L'histoire de ce roman est presque vraie, car l'Algérie, comme je l'ai qualifiée dans une chronique, est une pièce de Shakespeare ratée, autrement dit une terre de théâtre, souvent cru et insolite, où la réalité arrive toujours à détrôner la fiction. Des lecteurs m'ont informé qu'ils avaient déjà entendu parler de ce genre d'histoires loufoques. À Alger, il
y aurait un homme qui propose son cagibi à des couples «clandestins». Un autre, son fourgon chinois. D'une pierre, plusieurs coups: le chauffeur gagne sa vie et les clients s'envoient en l'air sur la route. C'est connu: lorsque l'interdit devient loi, le subversif prolifère. Sous le puritanisme algérien et la morale islamique se cachent moult tabous et scandales.
On a aussi l'impression que dans votre roman, le présent et le passé s'entrechoquent, se font face... Il y a également, tout au long du roman, comme une espèce de différence de la perception temporelle entre les gens du Nord et ceux du Sud...
En effet. Sans crier gare, le passé surgit au détour d'une phrase, investit le présent et, comme un sculpteur, modèle de l'intérieur Déflagration des sens. Idem pour La religion de ma mère. J'ai écrit ces deux romans loin de tout académisme. J'y ai cherché le poème dans le langage naturel, j'ai essayé de musicaliser la trame. Les pensées et les souvenirs arrivent de toutes parts, pas de manière linéaire, en spirale, en vagues, en ondes, en laves. J'ai conçu Déflagration des sens comme un volcan romanesque... Le temps en Afrique du Nord, et dans toute l'Afrique d'ailleurs, du moins sa perception, n'est pas divisée, comme en Occident, en trois parties, passé, présent et futur. Le temps chez nous est malléable, élastique, il refuse la logique, les mathématiques, la raison froide. Le temps chez nous prend son temps. Le temps chez nous fait la sieste. Le temps à venir et le temps déjà écoulé se neutralisent ou se prolongent dans un présent interminable. Cela peut se voir par exemple au cimetière, dans le rapport que nous avons avec les défunts. Les morts ne s'en vont pas, leur esprit rôde autour des vivants. Le dialogue avec les morts n'est jamais rompu. On les évoque, invoque et demande leur protection.
Le narrateur voyage dans des villes qui me (vous) sont chères: Paris, Barcelone, Toulouse, Bruxelles, Oran... Choix du hasard ou autobiographie?
Le roman est un cocktail qui mêle vrai et faux, si bien touillés que le créateur lui-même a souvent du mal à séparer la part fictive de la réelle. Les personnages sont des puzzles dont les pièces proviennent des sens réglés ou déréglés du romancier. Il y a peut-être des pans de moi dans ce livre et sûrement des pans des êtres que j'ai croisés, et des coins que j'ai visités, mais je serais incapable de vous dire lesquels et dans quelles proportions, car le roman, une fois imprimé, forme un bloc solide, et les matériaux utilisés au départ disparaissent dans le labyrinthe de l'oeuvre achevée.
En quoi l'histoire (de l'Algérie) influence votre écriture?
L'Algérie, du moins l'officielle, est une déchirure pour tout Berbère. Il a beau l'aimer, ce sera toujours au-dessus de ses moyens. La violence de l'arabisation et de l'islamisation, qui a réduit en miettes la culture et la langue de mes ancêtres, forme la matière incandescente de mon triptyque de la dépossession. Le tyran a essayé de nous assimiler, mais la greffe a refusé de prendre. Après avoir été les Autres, il est venu le temps que les Amazighs deviennent eux-mêmes.
Le narrateur de Déflagration des sens est philosophe. Est-il fou ou, au contraire, incarne-t-il la raison dans un monde de fous?
Votre question me rappelle un passage de La religion de ma mère où le père du personnage principal, Mirak, dit que ce sont les autres qui sont fous, mais c'est lui, sain d'esprit, qui prend des médicaments. Avant de se faire appeler Kâmal Sûtra et de devenir le baroudeur du roman, un demi-voyou, il était sage, il s'appelait Kamal Storah, un journaliste bien élevé, un citoyen rangé, doux, impeccable. Sa métamorphose psychologique, sa dureté et sa révolte subversive s'expliquent par ses échecs répétitifs, son désenchantement, ses déceptions. Après avoir essuyé moult défaites, il rebondit, brandit ses cornes, range sa candeur, muscle son coeur et sa langue et, à bord de son bordel ambulant, il part sur les routes affronter tout, boue, brouillard, barbus, tabous, dieux et diables.


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