Le chargé des relations extérieures de l'Autorité palestinienne, Nabil Chaâth a passé plus de trois heures avec M. Farouk Chara', le ministre syrien des Affaires étrangères, pour mettre en place les détails de la visite que doit effectuer incessamment M.Arafat en Syrie. Officiellement, le voyage de Arafat vise à mettre en place une coordination étroite entre Damas et les territoires pour soutenir l'Intifada. En fait, les motivations des uns et des autres relèvent plus de calculs politiques intérieurs que de haute stratégie géopolitique globale. Le rapport de force au Moyen-Orient varie au rythme de la chamelle parturiente. Ce qu'Israël conçoit et réalise en quelques mois, les Arabes mettent des décennies à le comprendre, et souvent, ne le réalisent jamais. Depuis Camp David, où Sadat avait éclaté le front arabe en négociant une paix séparée avec Israël, plus aucune action vraiment concertée n'a été menée. Oslo est l'oeuvre des Américains, ainsi que Madrid. Les Arabes n'ont aucun mérite dans le processus de paix israélo-palestinien. Bachar El-Assad a besoin d'asseoir un pouvoir tout neuf, et mettre fin à la contestation des arabistes syriens, et couper l'herbe sous le pied des islamistes qui utilisent la Palestine contre le pouvoir depuis que Hafed El-Assad a humilié Arafat en le chassant de Damas. En outre, tout en refusant de négocier avec l'ennemi et à ses conditions, El-Assad ne fait pas grand-chose pour récupérer le Golan. Le voyage de Arafat pourrait aussi rallier les nationalistes syriens à leur président. Pour le président de l'Autorité palestinienne, les enjeux sont tout aussi importants: contesté à l'intérieur des territoires par les tenants de la violence, entraîné dans une dynamique qu'il ne pouvait que suivre sans la maîtriser - l'Intifada -, Arafat est confronté à la fronde ouverte des partis palestiniens domiciliés en Syrie, y compris ceux qui sont au sein de l'OLP. En outre, le Hamas lui dispute l'adhésion des Palestiniens, et se pose comme alternative radicale à l'Autorité. Un rapprochement avec El-Assad est la garantie de faire taire les Palestiniens de Syrie, de couper les vivres à Hamas, et, chose plus importante, ouvrir la Syrie aux militants de l'OLP qui sont à l'étranger, notamment ceux du Liban, qui se plaignent de «persécutions permanentes par la police libanaise.» Leïla, du FDLP, déplore que «tous les étrangers aient le droit de propriété immobilière sauf les Palestiniens». Mais au-delà des calculs de leaders à la légitimité liturgique, les conséquences régionales d'un tel rapprochement sont incommensurables, en ce qu'il ne laisse de place que pour une alternative dont le premier élément serait la chute imminente de Sharon et de son gouvernement. Une telle issue supposerait alors le retour à la table des négociations de toutes les parties en conflit, une relance du processus de paix sur des bases plus saines, tant de la part des Arabes que des Israéliens. L'Europe, en s'impliquant plus directement, pourrait faire contrepoids au lobby américano-sioniste, avec l'appui du lobby naissant des Arabes d'Amérique. Les trois points de divergence essentiels: le retour des réfugiés, le statut des colonies implantées dans les territoires à céder à l'Autorité palestinienne et le statut d'El-Qods, pourraient faire l'objet d'un plan de règlement très étalé. Mais le second terme de l'alternative serait une cinquième guerre entre les Arabes et Israël. Et là se pose la question des relations entre pays arabes: quels sont les Etats susceptibles de participer à une guerre? Les monarchies du Golfe sont exclues de facto, vu leur allégeance aux USA. L'Egypte n'a plus rien à gagner d'une guerre: elle a récupéré tous ses territoires perdus en juin 1967. Le Maghreb, déchiré par des questions de sécurité intérieure, des crises économiques à répétition, pris en otage par ses créanciers, n'a ni les moyens ni l'envie de partir dans une guerre dont le pouvoir de chacun des pays risque de ne pas revenir. Restent l'Irak et la Libye, dont les régimes semblent inamovibles, et qui ont tout à gagner dans un conflit armé qui justifiera et confirmera leurs choix politiques. Israël, pour sa part, peut-il se permettre une guerre sur ses frontières alors que l'Intifada est à l'intérieur, que les forces armées de l'Autorité palestinienne, aussi faibles soient-elles, constituent un danger permanent de guérilla urbaine. Enfin, ces citoyens israéliens arabes, qui revendiquent l'égalité des droits avec les citoyens juifs, mais exigent d'être dispensés du service militaire obligatoire, et qui pourraient constituer un danger réel. Pour les pays arabes, les critères de meilleur placement ne sont plus ceux de 1973: l'arabisme et l'arabité ont démontré leurs limites en tant que facteurs rassembleurs. L'Islam et l'islamisme ont révélé les dangers potentiels de leur manipulation par des pouvoirs déconnectés. Désormais, le positionnement de chaque pays se fait, l'oeil rivé aux indicateurs de cap américains. Les Américains pourraient profiter d'une telle guerre pour secouer le cocotier européen qui est «un boulet au pied des Etats-Unis dans le processus de mondialisation», comme l'a affirmé l'ambassadeur américain aux Nations unies. A l'heure où nous mettons sous presse, un comité mixte syro-palestinien travaille d'arrache-pied pour mettre en place les modalités d'une coordination entre la présidence syrienne et l'Autorité palestinienne. Selon Talal Aqqal, porte-parole du fplp de George Habache, «il y a un consensus entre toutes les forces palestiniennes pour l'élargissement du champ d'actions armées contre Israël». En sortant du ministère des Affaires étrangères syrien, Nabil Chaâth confiera aux journalistes que «le gouvernement syrien est prêt à aller très loin dans son soutien à l'Intifada». Jusqu'au dernier Palestinien?