Le président de la République a enclenché une nouvelle dynamique politique et gouvernementale. En graciant les détenus du Hirak, il met fin à la détention pour raison d'opinion, fermant ainsi la parenthèse d'une accusation qui, quoi que contestable dans certains cas, n'en consistait pas moins un motif de crispation au sein de la scène nationale. L'appropriation de cette question par des partis politiques qui disent se reconnaître dans les revendications du Mouvement populaire a quelque peu parasité le discours des uns et des autres. Même si le traitement judiciaire réservé à certaines activités ou déclarations publiques pose une problématique à résoudre, elle a néanmoins pris une importance particulière, jusqu'à devenir le fait central de l'activisme politique ces dernières semaines. En accordant la grâce présidentielle à l'ensemble des détenus, Ali Ghediri, Khaled Drareni et Rachid Nekkaz compris, le chef de l'Etat déplace le curseur du débat citoyen et met les activistes devant une nouvelle réalité politique. La revendication devra donc évoluer et il revient aux animateurs du Hirak d'adapter leur discours à une donne politique qui exclut, de fait, les «traditionnelles» rencontres autour de la question des détenus politiques. À la veille du deuxième anniversaire du Mouvement populaire du 22 février 2019, le challenge change de nature et les politiciens qui «rôdent» autour du Hirak sont désormais tenus de trouver des thèmes mobilisateurs pour demeurer dans la dynamique historique, au risque de se voir «excommunier». Le gros du Mouvement populaire, qui est dans une posture d'écoute, mais pas d'adhésion aux idées colportées par les partis, ne marchera pas derrière des mots d'ordre dans lesquels il ne se reconnaît pas. Avec cette grâce présidentielle, Abdelmadjid Tebboune ôte une arme des mains des politiciens du Hirak et a été plus loin en anticipant leur «prochain coup». Il s'agit de l'illégitimité dont ils ont affublé l'APN qui se trouve donc officiellement dissoute. La voie de la contestation de l'APN est ainsi fermée et ne restera dans l'escarcelle des «radicaux du Hirak» que de s'en prendre à l'institution présidentielle elle-même. Une voix très minoritaire de la «faune» gravitant autour du Hirak a, à ce propos, réclamé une élection présidentielle anticipée. Mais cette proposition n'a eu aucun écho au sein de la classe politique et encore moins dans les rangs du grand Mouvement populaire. Le président de la République qui a précédé ce genre de posture, en associant l'écrasante majorité des partis à l'enrichissement de l'avant-projet de Code électoral, a largement gagné en crédibilité et en légitimité aux yeux des acteurs partisans. Les réformes qu'il préconise «font mouche» et la frange de l'opinion publique sensible à sa démarche est en constante évolution. Il reste que le consensus visiblement acquis au sein de la scène politique nationale ne se traduit pas nécessairement au niveau du Mouvement populaire, lequel n'obéit à aucune «injonction» de quelques parties que ce soit. C'est dire que si le président de la République marque des points en mettant les «radicaux» dans une posture désormais inconfortable, en leur enlevant leurs thèmes favoris, il doit encore convaincre l'ensemble de la société de la nécessité d'adopter sa vision des réformes politiques en cours. Cela, le chef de l'Etat en est certainement conscient et mise sur les jeunes pour créer un déclic, à même de créer une nouvelle dynamique citoyenne en faveur d'une participation massive aux prochaines élections législatives. Tebboune est prêt à mettre le paquet pour éviter que les forces de l'argent n'éclaboussent son oeuvre politique. Cette étape, bien plus difficile que celle de «neutraliser» les «radicaux» du Hirak, suppose un immense capital crédibilité. À ce propos, les Algériens admettent qu'en matière de gestion de la pandémie, le président a tenu toutes ses promesses, de même que dans son action en direction des catégories sociales les plus fragiles. Et si dans le parcours gouvernemental, il y a eu des ratés, le chef de l'Etat le reconnaît et annonce son intention de les corriger. Le remaniement gouvernemental n'a d'autre fonction que de réparer les erreurs des ministres qui ont failli dans leur mission. Cette manière de répondre aux Algériens est de nature à redéfinir la relation président-peuple. C'est ce à quoi aspire Abdelmadjid Tebboune, mais encore faut-il que la société comprenne le triple message de la grâce présidentielle, la dissolution de l'APN et le remaniement ministériel. Le président dispose de 6 mois au maximum pour gagner la confiance de la majorité des Algériens. Les prochaines législatives sont un test grandeur nature.