Depuis 1962 à nos jours, aucune politique réelle de préservation du patrimoine algérien n'a vraiment été mise en pratique. Le site archéologique de Tipaza vient de frôler la correctionnelle. Le Comité du patrimoine mondial (CPM), responsable de la mise en oeuvre de la convention de l'Unesco de 1972 sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, qui a tenu sa 30e session du 8 au 16 juillet 2006 à Vilnius en Lituanie, vient de retirer le site de Tipaza de la liste du patrimoine en péril. La mission de trois experts, en mars dernier, a en effet constaté que les eaux usées et la prolifération des habitations illicites à l'intérieur des sites ainsi que la pollution et les constructions routières menaçaient de faire disparaître le site de Tipaza. La levée de cette sanction ne doit pas de toute manière masquer le marasme et l'état d'abandon auquel est livré le patrimoine naturel et culturel algérien et qui demeure de toute façon l'affaire de tous. Tipaza n'est en fait que la partie immergée de l'iceberg ou l'arbre qui cache la forêt. La décision du Comité du patrimoine mondial ne pousse guère à crier victoire car l'humiliation a été évitée de justesse. Invoquer des réflexes néo-coloniaux pour justifier la mise en garde adressée par l'Unesco aux responsables chargés de la protection de nos sites reviendrait à faire preuve d'un nationalisme exacerbé mal placé. De là à voir une agression étrangère contre l'Algérie relève de réflexes de vieux démons rangés au placard depuis belle lurette. Tout cela est conforté par l'orientation imprimée par le président de la République qui veut résolument engager l'Algérie sur la voie de la modernité. Les nouveaux critères qui doivent prévaloir sont ceux de la compétence. Il sera de plus en plus difficile de se cacher et de se voiler la face avec des arguments qui ne tiennent plus la route. La place à la médiocrité doit être éradiquée pour donner libre cours à plus d'honnêteté intellectuelle. Ce qui frappe le plus quand on découvre l'Algérie c'est l'ampleur de la diversité de ses richesses naturelles et culturelles des sites archéologiques et un littoral qui charrient des témoignages historiques. La quasi-totalité de ces merveilles sont malheureusement livrées à leur triste sort. Pis, elles font l'objet de dégradations de la part de l'homme sans aucun secours. La réponse est peut-être dans l'homme rien que l'homme, plus encore dira-t-on, dans l'absence d'une réelle politique de préservation, de conservation et de mise en valeur d'un patrimoine qui nous a été légué depuis la nuit des temps. Certes, le problème de la préservation et de la valorisation des sites ne date pas d'aujourd'hui, mais c'est dans une véritable manière de mener à bien une politique en la matière que le problème réside. Il est bien beau de donner des arguments qui peuvent paraître crédibles, mais ce n'est pas quand le bateau coule que l'on doit se manifester pour dire que le naufrage a été évité grâce à son équipage. Le bateau est toujours là avec le même équipage et le naufrage guette toujours ce bateau qui prend l'eau de toutes parts. La situation du patrimoine archéologique algérien ressemble de près à ce bateau en perdition quand on énumère la longue lutte des vestiges menacés de disparition et les exemples ne manquent pas. Portus Magnus, village portuaire romain à Bethioua à quelque 40km de la ville d'Oran. La Kalaâ de Beni Hammad près de M'sila. Les théâtres romains de Guelma et de Djemila, anciennement Cuicul. La Casbah d'Alger dont un tiers des maisons se sont déjà effondrées, qui a attendu 2003 pour être déclarée site protégé et qui ne doit son salut qu'aux bénévoles de la fondation Casbah. La Casbah de Béjaïa dont les portes sont closes au public pour un projet de rénovation qui ne voit pas le jour. Merdacen, tombeau présumé de rois numides à Zana aujourd'hui Bagaï dans la wilaya de Khenchela. Le Tombeau de la Chrétienne, Tombeau de Cléopâtre Séléné épouse de Juba II. Le Djedars, sépultures numides au sud de la ville de Tiaret, toutes ces merveilles risquent d'échapper au regard des générations futures. Les parc nationaux ne sont pas en reste de cette malédiction qui frappe le patrimoine algérien. Le parc national du Tassili classé patrimoine mondial par l'Unesco et à la tête duquel s'est retrouvé, l'actuel directeur du patrimoine du ministère de la Culture de 1998 à 2000, recèle des peintures rupestres qui peuvent rivaliser avec les plus belles du monde. Leurs abris sont menacés et en état de dégradation avancé qui n'est pas dû uniquement aux éléments naturels (vent, pluie) mais surtout à l'action de l'homme. Les inventaires de ces trésors, qui devaient constituer une des priorités de l'action du parc national du Tassili n'ont jamais été réalisés. La vallée des cyprès, qui se trouve à Tamrit, sur le plateau du Tassili peuplé de quelques vingt trois espèces d'arbre, Tarout, dont les datations le font remonter à plus de 2000 ans, ont connu des mutilations qui portent atteinte à leur survie. Ces exemplaires d'arbres inféodés à cet espace du territoire national sont en fait uniques au monde. Lors du 1er marathon international de la ville de Djanet le tracé que devaient emprunter les véhicules tout-terrain afin de soutenir la logistique de cet événement s'est fait sur des sites archéologiques à ciel ouvert (tessons de poterie...) balayant par là-même des bribes et des pans entiers nécessaires à la reconstitution de la présence de l'homme dans la région. Si tous ces éléments mettent en lumière le mode de gestion de nos institutions d'un secteur stratégique à la connaissance de l'histoire de l'Algérie, il nous renseigne surtout sur le choix et la manière dont sont choisis les responsables qui sont propulsés à leur tête excluant les compétences et le savoir-faire en matière de conservation et de valorisation des sites. La cooptation est privilégiée. La Cnrpah, dont la vocation est la recherche, s'est retrouvé grand pourvoyeur des directeurs des parcs nationaux de l'Ahaggar et du Tassili. Quatre d'entre eux en sont issus dont les deux actuels et des intérêts communs semblent en avoir privilégié cette voie. Depuis 1962 à nos jours, aucune politique réelle de préservation du patrimoine algérien n'a vraiment été mise en pratique pour oeuvrer à la protection des vestiges d'un passé qui atteste de notre histoire et qui se devait de forger l'identité algérienne. Est-ce les contours indéfinis de cette dernière qui a plongé les responsables chargés de ce secteur dans des débats et des justifications stériles, ou alors, n'ont suscité et généré que des discours à connotation idéologique servant les intérêt des uns et des autres jusqu'à oublier les legs indélébiles d'une histoire sans faille parvenue à notre mémoire voir à notre inconscient par effraction. Alors, l'Algérie malade de sa mémoire? Ou bien le refoulement de cette dernière de peur à réveiller de vieux démons?