Devenu un obstacle à la formation du gouvernement, le Premier ministre sortant a fini par renoncer à succéder à lui-même. Il aura fallu plusieurs mois de négociations, alors que la grogne s'amplifiait dans ses propres rangs, pour que le Premier ministre sortant, Ibrahim Al Jaafari renonce enfin à se représenter au poste de chef de gouvernement, ouvrant de la sorte la voie à une sortie de crise. De fait, M.Jaafari a fait de la résistance finissant - outre le blocage persistant qui paralysa la mise en place des nouvelles institutions irakiennes - par irriter ses propres alliés, que des membres de son parti le Da'wa et, plus généralement, les chiites conservateurs regroupés dans l'Alliance unifiée pour l'Irak (AUI) qui lui ont demandé de retirer sa candidature au poste de Premier ministre afin d'ouvrir le jeu politique quasiment gelé depuis les élections législatives du 15 décembre dernier qui ont donné la majorité absolue à l'alliance des chiites conservateurs. Kurdes et sunnites contestaient en effet la reconduction de M.Jaafari à la tête du gouvernement, l'accusant d'avoir été incapable de remettre de l'ordre dans le pays et d'assurer la sécurité des Irakiens. La situation était encore bloquée jusqu'à jeudi lorsque le numéro deux du parti, Jawad Al Malik avait annoncé que M.Jaafari remettait sa candidature pour le Premier ministère indiquant à la presse: «Le docteur Jaafari, choisi comme candidat par l'AUI, demande aujourd'hui (jeudi) à ce bloc de décider de sa candidature». Ibrahim Al Jaafari a confirmé dans la soirée de jeudi, dans des déclarations à la télévision irakienne, son désistement en affirmant qu'il revenait à son groupe de «décider en toute liberté» de son candidat. Or, la veille, Ibrahim Al Jaafari était encore campé sur ses positions affirmant qu'il n'était pas question pour lui de renoncer à sa candidature, décidée dès février par le conseil de l'AUI, M.Jaafari ne devançant que d'une seule voix Adel Abdel Mehdi le numéro deux du Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII de Aziz Al Hakim). Il ne fait pas de doute que M.Jaafari a subi des pressions l'incitant à faire le «bon choix» pour débloquer la situation devenue ingérable auxquelles s'ajoute l'appel réitéré du président américain, George W.Bush, appelant mercredi les Irakiens à former un gouvernement le «plus rapidement possible». Concernant la succession d'Ibrahim Al Jaafari, il est probable que Jawad Al Maliki, numéro deux du Da'wa, soit celui appelé à succéder à M.Jaafari quoique, sans doute à titre de précaution, son parti - qui est présidé par M.Jaafari - va présenter M.Maliki ainsi qu'un second candidat, Ali Adib. Entre-temps, un accord de principe semble être intervenu entre les Kurdes et les sunnites par la désignation de six candidats aux postes parmi les neuf à pourvoir à la tête de l'Etat. Jalal Talabani, le président (Kurde) sortant est proposé pour se succéder à lui-même, le sunnite Adnane Al Doulaïmi est désigné à la présidence du Parlement, en remplacement du patriarche Adnane Pachachi. Ces deux postes clés forment avec le Premier ministère, réservé aux chiites, le fondement du triumvirat politique irakien, un peu à l'exemple de ce qui se passe au Liban. Reste à savoir si cet accord va tenir lors de la réunion, prévue normalement ce soir, du Parlement lequel va examiner l'ensemble des candidatures destinées à pourvoir les postes clés de l'Etat, d'autant plus que le retrait de M.Jaafari ouvre les portes à une sortie rapide de la crise qui paralyse l'Irak depuis plusieurs mois. C'est ce matin que l'Alliance chiite doit en principe choisir son candidat au poste de Premier ministre afin de compléter le triumvirat devant diriger le pays. De fait, le retrait de M.Jaafari ouvre des perspectives nouvelles à un pays enfoncé depuis plusieurs mois dans une profonde crise politique au moment où la violence continuait de faire des carnages dans un pays où la vacance du pouvoir lui aura été dommageable sur tous les plans -politique, sécuritaire et économique- singulièrement pour des hommes politiques irakiens qui ont montré, au moment où l'Irak est confronté à ses heures les plus sanglantes, qu'ils étaient plus déterminés à prendre, coûte que coûte, leur part du pouvoir, que de faciliter la mise en place d'un gouvernement capable de gérer le pays et le sortir de la spirale de la violence, condition sine qua non du retrait rapide des troupes étrangères actuellement stationnées en Irak. L'inflexibilité de ces «hommes politiques» irakiens a fait prendre au pays beaucoup de retard dans sa recherche de la stabilité, alors que le contre-coup humain est lourd pour un Irak qui ne compte plus ses morts, dont nombreux ne savent pas pourquoi ils mourraient.