Avec une voix sublime, il récitera des textes d'Hélène Cixous, cette écrivaine française qui, dit-on, «contribuera à l'émergence d'une nouvelle écriture féminine»... Dans les jardins du CCF d'Alger, il a lu, jeudi dernier, les bonnes feuilles de Hélène Cixous. Comme lui, elle passa son enfance en Algérie. Ainsi, les textes que le grand metteur en scène-comédien et récitant lira ne pouvaient être imbibés autrement que de l'Algérie, dans les mots et les senteurs que peuvent provoquer chez un être, cette madeleine de Proust. Les rêveries de la femme sauvage: scènes primitives Paris, Galilée 2 000, Les pieds nus in : Une enfance algérienne, textes réunis par Leïla Sebbar, Paris, Gallimard, 1999, Le vrai jardin, Paris, Hervé, 1971 et L'Amour même : dans la boîte aux lettres, Paris, Galilée, 2005, sont autant de songes, de regrets, de contemplations et de discussions sur le pays, l'Algérie, ses singularités, ses routes, ses paysages que l'on peut découvrir à vélo...Une belle traversée de l'esthétique des mots et des sens, rehaussée par l'accompagnement musical de Jean-Jacques Lemêtre. L'Expression: Nous sommes ici au CCF où vous venez de lire des textes littéraires de Hélène Cixous qui parlent de l'Algérie, vous qui êtes né et avez grandi dans ce pays quel sentiment en gardez-vous? Daniel Mesguich : Lire les textes sur l'Algérie d'Hélène Cixous, je ne dis pas que cela ne me fait rien mais j'en éprouve un plaisir intellectuel, gustatif, parce que la langue d'Hélène est magnifique. C'est un plaisir de voir les mots se déployer, s'ouvrir comme un fruit mais je ne peux pas dire que cela me fasse quelque chose quant à mon expérience de l'Algérie. Il y a une résonance forcément mais ce n'est pas l'essentiel. Ce qui a beaucoup agité mon âme si j'ose dire ces jours-ci, ces derniers jours, c'est l'Algérie elle-même. C'est le fait que je me sois promené dans Alger, le fait que je sois revenu dans ma maison, celle de mes parents, bien sûr, qu'ils avaient quand j'étais enfant, d'être aussi retourné dans mon école où j'étais élève jusqu'à l'âge de 10 ans. Cela vraiment a fait bruire et cela a remué beaucoup de choses en moi. Les textes d'Hélène Cixous, en revanche, je le redis, sont davantage un voyage, j'allais dire presque intellectuel. C'est une Algérie qui peut être très charnelle mais qui, pour moi, n'est pas aussi charnelle que pour elle, je crois. Il y a comme un écran entre le référent Algérie et ce que je peux ressentir par ce que je lis parce que je crois que son écriture passe avant ce dont elle parle. Vous êtes comédien, metteur en scène, en plus d'avoir été directeur de théâtre, écrit de nombreux articles sur le théâtre, d'essais de traduction de Shakespeare, d'Euripide, vous montez des opéras. Un artiste complet... Un mot aussi sur le feuilleton dans lequel les Algériens vous ont découvert, Berlioz... En réalité, j'ai dû monter 150 spectacles, sinon plus, dans ma vie. Je n'ai pas compté. Je suis davantage connu dans le monde du théâtre que celui de la musique. J'ai monté 4 ou 5 Shakespeare, 4 ou 5 Racine, des Marivaux, de grands auteurs français. J'ai monté du Tchékhov, du Calderon, etc. Je vois que l'image que je peux donner à Paris dans le monde des arts est celle d'un metteur en scène de théâtre et celle d'un acteur de cinéma après et de théâtre aussi. Je n'ai jamais réalisé de film. Le feuilleton Berlioz dont vous parlez, je l'ai fait dans le temps où la télé valait quelque chose. Aujourd'hui, je trouve qu'elle est nulle. Donc, je n'ai plus envie de faire de la télé. Il se trouve, d'autre part, et là, vous avez raison, la musique a toujours joué dans ma vie un certain rôle, bien que je ne sois pas moi-même musicien mais, effectivement, j'ai joué le rôle de certains compositeurs dont Berlioz, Liszt et puis j'ai souvent été récitant. Dans des concerts notamment, c'est entre les deux. L'Elio de Berlioz est une pièce de musique pour récitant. J'ai souvent aussi utilisé beaucoup de musiques savantes très ciselées, très travaillées dans des spectacles de théâtre que je mets en scène et, d'autre part, j'ai dû monter entre 20 et 30 opéras. La musique ce n'est pas quelque chose que j'ai choisie. C'est venu à chaque fois vers moi, sans doute parce que j'étais une bonne terre d'accueil et que j'aimais ça. Mais j'écoute peu de musique. Je n'ai pas beaucoup de temps. J'écoute parfois en fond sonore mais je travaille sur autre chose. Je suis professeur au conservatoire d'art dramatique. Quand je mets en scène des spectacles, la plupart du temps, je cherche des textes de théâtre, pas d'opéra. Mais la musique revient vers moi sans arrêt. C'est un mystère et tant mieux, parce que j'aime la musique d'autre part, bien sûr, sinon il ne se passerait rien de tel. Peut-être un projet de mise en scène d'une pièce de théâtre algérienne? Des clins d'oeil à ma terre natale, comme vous dites, je crois que j'en ai eu déjà beaucoup dans ma vie, dans mon travail artistique, dans mes spectacles. J'ai écrit des livres sur le théâtre, sur les théories du théâtre. Cela s'est illustré de mille façons. Par exemple, la manière que j'ai de mettre en scène est souvent fragmentée, discontinue. Au lieu de suivre un fil narratif, j'en suis 14 à la fois. Au fond, à peine une histoire, une narration commence à prendre, que je la brise et il se passe autre chose. J'ai beaucoup réfléchi à tout cela et je crois que cela vient, quand j'étais enfant. l'Algérie qui était française à l'époque, était mal servie en matière de livraison d'illustrés. Quand j'étais gamin, je lisais des petits illustrés (entre 5 et 10 ans) ; les histoires étaient à suivre mais en Algérie, on recevait le mois de novembre avant celui de mars. C'était au hasard Balthazar. Eh bien, je ne pouvais pas suivre l'histoire. Il fallait bien que je l'invente. Je crois que ça a été très formateur. Des tonnes de choses sont donc algériennes dans ma manière de faire mais je n'ai jamais trouvé de pièces, si vous en connaissez, signalez-les moi. Il y a des pièces sur l'Algérie que je connais. Certaines que je respecte énormément mais ce n'est pas ce que j'ai envie de faire dans mon travail artistique. Des projets en perspective? Mes projets sont multiples. Je viens de terminer un spectacle qui se joue à Paris et a eu un grand succès intitulé Boulevard du boulevard du boulevard au Théâtre du Rond-point à Paris et qui sera en tournée pendant toute la saison. Ensuite, je mets en scène une pièce de théâtre d'Hélène Cixous sur Jeanne d'Arc, une très belle pièce, à Nice. Je monte après Cinna de Corneille, à Rouen. Un texte des plus classiques du classicisme français. Et puis, je mets en scène un opéra La flûte enchantée de Mozart.