Le bât blesse dès qu'on examine les conditions de circulation des personnes entre les deux pays. Etrangement, la lettre de remerciements adressée tardivement par le ministre français des Affaires étrangères au président Abdelaziz Bouteflika pour saluer les «égards et les marques d'attention» qui lui ont été réservés, ainsi qu'à la délégation qui l'a accompagné, durant leur séjour à Alger, n'a guère été évoquée par les médias de l'Hexagone. A croire que les journaux ont été tenus dans l'ignorance de cette missive d'autant plus intéressante qu'elle accompagne des propos de Philippe Douste-Blazy qui a, une fois de plus, vanté les bienfaits de la colonisation, sur les ondes de RMC, au moment même où le président Bouteflika se trouvait au Val-de-Grâce pour un contrôle médical. Ces envolées étaient destinées, il est vrai, à la consommation interne, mais elles sont néanmoins explicites de l'ambivalence de certains hommes politiques français de droite. Dans sa lettre de remerciements, dictée, semble-t-il, par des motifs éminemment diplomatiques, le ministre français des Affaires étrangères affirme au président de la République: «Soyez assuré de l'attention personnelle que j'entends porter aux questions que vous avez soulevées, notamment celles qui concernent la circulation des personnes » avant d'ajouter qu'il «a pris toute la mesure des attentes qui sont les vôtres, s'agissant en particulier du traité d'amitié dont la France reste convaincue, pour sa part, qu'il peut donner une nouvelle impulsion au partenariat d'exception que nos deux pays souhaitent construire». Il se trouve que le président Abdelaziz Bouteflika a abordé très franchement les sujets qui fâchent, lors de l'audience qu'il a accordée à Philippe Douste-Blazy, auquel il a clairement indiqué qu'un traité d'amitié se conclut entre deux peuples souverains, mutuellement respectueux de leurs intérêts réciproques et réellement déterminés à asseoir une coopération exemplaire qui scelle leur entente et leur proximité de vues et d'actions. Or, le bât blesse dès qu'on examine les conditions de circulation des personnes entre les deux pays, les Algériens ayant droit à un traitement d'exception, certes, mais pas dans le sens positif. C'est cette problématique, entre autres, que le chef de l'Etat a notifiée au ministre français des Affaires étrangères. Ce dernier a, sans doute, développé les arguments d'usage pour justifier une réticence qui a toujours pesé lourdement sur les échanges entre les deux pays. Cette propension à considérer les choses à l'aune des seuls intérêts unilatéraux, tout en prétendant oeuvrer au rapprochement des peuples et à leurs retrouvailles, a sans doute irrité le président Abdelaziz Bouteflika. Il a donc pris acte d'une réalité regrettable et dommageable au projet de traité d'amitié qui ne saurait être conclu dans un contexte de grande frustration, pire, de vexations réitérées pour le peuple algérien. Le chef de l'Etat a développé des «analyses approfondies tant sur les relations bilatérales que sur les grands dossiers régionaux» afin de convaincre son hôte de la volonté réelle de l'Algérie de parvenir à un partenariat d'exception de nature à sceller des relations amicales et fructueuses entre les deux peuples que tout rapproche et que, seule , une vision étriquée de la politique court-circuite régulièrement. Cette analyse a de nouveau été réitérée par le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, qui a patiemment argumenté auprès de Douste-Blazy sur les critères objectifs qui fondent l'opportunité et l'efficience d'un traité d'amitié conclu par deux peuples réellement affranchis du lourd passé commun et résolus à écrire une page d'histoire à la hauteur de leurs sincères aspirations. Ce qu'ont voulu faire ressentir le président Bouteflika et Mohamed Bedjaoui à un Philippe Douste-Blazy confiné dans une démarche de haute visée diplomatique, c'est que le peuple algérien sera favorable à un traité d'amitié qui ne fait pas fi de sa dignité pour ne privilégier que les intérêts bassement économiques et commerciaux. S'il ne s'agit que de contrats, aussi gros soient-ils, le monde est vaste, les partenaires multiples et la règle, valable en tous temps et en tous lieux, commande de traiter avec les mieux offrants. Ni plus ni moins. Le traité d'amitié, s'il est conclu pour le meilleur et pour le pire, commande, par contre, de privilégier le partenaire d'exception, afin que les dividendes de la coopération soient le plus équitablement possible partagés. C'est pourquoi «une relation forte et confiante» telle que la formule le ministre français des Affaires étrangères dans sa lettre de remerciements, surtout si celle-ci est diligentée par le président Jacques Chirac, passe par la redéfinition des liens et des échanges entre les deux peuples, notamment en ce qui concerne les conditions de circulation qui les régissent et qui sont infiniment significatives de leurs attaches réelles à un partenariat d'exception. Paris vient de donner un très modeste gage de sa bonne volonté en annonçant un assouplissement des conditions d'accueil des demandeurs algériens de visas. Même si, pour bon nombre d'Algériens, il n'est que de «la poudre aux yeux», ce petit geste est révélateur d'un désir relatif de faire bouger les choses dans le bon sens. Mais ce n'est pas avec de tels efforts que l'on peut envisager des lendemains qui chantent entre les deux pays.