Il serait très difficile, pour un adulte, de comprendre pourquoi la nouvelle génération se jette à la mer pour réaliser un rêve. Tout le monde dira que le phénomène des harraga s'explique par le chômage qui rend leur quotidien difficile. Mais à bien y réfléchir, il n'y a pas que ça. Il suffirait de poser la question à nos jeunes pour comprendre et l'on découvre que les réponses sont parfois déroutantes. «Ecoutez, je veux partir pour vivre ma vie parce que mes parents me la rendent difficile, réplique M., un gars entre les 25 et 26 ans, instruit avec un bon look. Je veux partir là où je peux sortir avec mes copains et copines au bord de la plage ou aller au restaurant quand ça me chante, etc. Je veux vivre comme vivent les gens de ma génération à travers le monde.» Rien de plus simple. Ahmed, lui, par contre, voit les choses autrement: «J'ai trente ans et je suis sans perspectives; ni femme, ni logement, ni voiture, ni argent de poche, ni situation convenable, jusqu'à quand puis-je attendre ainsi? Il faut avoir un coeur de fer pour résister.» Son copain, qui n'a pas cessé de le regarder de travers, rétorque: «Non, ce n'est pas cela, ils veulent tous la belle vie, parce qu'ils estiment qu'il y a beaucoup d'interdits qui les empêchent de vivre comme les Occidentaux.» Mais quels genres d'interdits? Il explique: «Il y en a partout, à commencer par le foyer et le voisinage. Est-ce qu'il peut, par exemple, fréquenter une fille, même de manière courtoise en vue de vivre, plus tard, en ménage avec elle? Personne ne le tolère dans notre société, y compris dans la rue ou dans le train; il ne manquera pas d'essuyer des insultes s'il sort avec son amie. C'est la réalité. En plus de ça, il y a les prosélytes qui n'ont pas la langue dans la poche et qui n'hésiteront pas à lui donner des leçons de bonne conduite.» Un troisième, qui ne semble pas partager leurs avis, s'en mêle: «Ecoutez tonton hadj! Ils disent n'importe quoi. Moi, si je trouve un bon emploi, je me marie et je fonde une famille et basta. Mais je ne trouve même pas de quoi m'acheter une cigarette. Je ne cours pas derrière les rêves impossibles.» Pourquoi ne pas poser la même question aux filles? Notre choix est tombé sur une étudiante en langues qui n'a pas hésité un instant à répondre. «Je vous réponds franchement. Tout comme les garçons, nous avons les mêmes préoccupations. Une fois mes études terminées, je dois chercher un travail qui n'existe pas. Je serai donc appelée à accepter n'importe quelle offre. Puis je vais attendre le mari qui ne viendra pas. Parce que le garçon qui me plaît n'a pas un salaire fixe, n'a pas un logement, n'a pas de véhicule, il n'a pas non plus de quoi payer le trousseau et les frais de mariage qui sont coûteux.» Que faire, donc? Elle répond: «Il y a Internet. J'ai plein de copains sur facebook, un peu partout dans le monde. Il y a des musulmans et des non-musulmans. J'ai des choix à faire, par élimination, puis j'irai rejoindre celui qui me convient. C'est aussi simple. Et j'aurais ainsi la chance de faire des études plus approfondies. C'est mon voeu le plus cher.» Et le rêve continue: «Moi, j'ai décidé d'aller dans les pays du Golfe, confie Aïssa, la trentaine, avec une paire de moustaches et un physique robuste. J'irai servir dans une pizzeria et gagnerai mieux qu'un architecte ici. J'irai là où je pourrai gagner de l'argent puis je reviendrai construire ma vie.» Mais combien de temps suffirait pour construire une vie? «5 à 6 ans devraient suffire. J'achèterai une belle voiture et une maison», répond-il avec assurance. Ce sont là des réponses éparses, parmi beaucoup d'autres, qu'on peut résumer par le rêve inachevé. Chaque être humain a son rêve d'un monde meilleur. Il y a ceux qui ont de la chance, en prenant des raccourcis, grâce au coup de pouce des parents des fois, ou en comptant sur leurs propres ressources. Et il y a ceux, très nombreux, qui n'ont eu aucune chance ou n'ont pas toujours réfléchi dans le bon sens pour sortir de l'impasse. Mais, dans l'ensemble, la nouvelle génération -filles et garçons- aspire à une vie meilleure, sans cependant renier les attaches avec leur pays et leurs familles. Ils ont tous un rêve qu'ils veulent réaliser, quitte à se jeter à la mer, vers leur bonne étoile, à leurs risques et périls.