Fresque tissée avec les fils d'une mémoire endolorie par tant de coups reçus sur le réceptacle des souvenirs. Le fantasque scandinave Aki Kaurismaki, venu sur la croisette avec Les lumières du faubourg (clin d'oeil appuyé au film de Chaplin, Lumières de la Ville) disait hier: «Mes budgets sont bas pour me permettre de pouvoir faire ce que je veux. Le problème est que je ne sais pas ce que je veux!»... Incontestablement et avec Indigènes, l'Algérien Rachid Bouchareb, savait ce qu'il voulait en réalisant cette fresque tissée avec les fils d'une mémoire endolorie par tant de coups reçus sur le réceptacle des souvenirs d'une époque que d'aucuns voudraient occulter. Bien sûr et à la différence de Lakhdar Hamina (Chronique des années de braise), Rachid Bouchareb n'insiste pas trop sur les véritables motivations qui pousseront des «sujets» algériens à aller défendre «la mère patrie» (sic): l'indigence chronique, les maladies et l'enrôlement forcé. Reste que la brochette d'acteurs entourant Sami Bouadjila (Palme du meilleur acteur?), Djamel Debbouze, Sami Nacery, Roshdy Zem porte à bout de bras un projet ambitieux qui relate la montée vers le Nord d'une bande de tirailleurs algériens qui finiront par arroser de leur sang la terre alsacienne libérée, enfin, du joug nazi. Il y a des moments d'émotion certains que la sobriété du regard porté sur cette époque par un enfant de travailleurs émigrés, un des cinéastes (et producteurs) qui comptent sur la place de Paris et dont l'algérianité , à fleur de peau, a été, heureusement, consolidée au bon moment par Lamine Merbah, du temps de l'Enpa et par le regretté Youcef Sahraoui... L'Algérie est aussi présente parce que la télévision algérienne, créditée au générique, a mis en images d'archives à la disposition du film. Il est vrai que la démarche de Hamraoui Habib-Chawki et à laquelle tous les cinéastes font écho est une des plus prépondérantes dans le monde arabe. Il est un fait que d'aucuns à Cannes ne contestent lorsque le chapitre de la création en Algérie est abordé, c'est ce que la direction de l'Entv a érigé en principe, aidé tous les films algériens qui se font. Hormis le cas iranien, cette démarche initiée par M.Laghouati, confirmée par Abdou B et rendue systématique par HHC, cette démarche reste donc unique en son genre et ne passe pas inaperçue à Cannes, Venise, au Caire ou à Carthage... Elle informerait aussi d'une démarche étatique algérienne encourageante et digne d'exemple. C'est dire combien la standing ovation qui a suivi la projection officielle (et celle suivie par des centaines de journalistes du monde entier), englobait dans la reconnaissance du formidable travail de Rachid Bouchareb, tout un pays, l'Algérie. Un contrepoids bienvenu devant l'investissement gigantesque de la partie marocaine dont il serait juste de saluer l'effort méritoire. Il ne manquait plus que la Tunisie ( mais «faut pas rêver») pour parler d'une réponse maghrébine commune. L'apport français a été aussi très prépondérant impliquant aussi bien les Conseils régionaux que l'Assemblée nationale. Reste que Bouchareb n'a pas dévié d'un iota, il clôt son propos par un rappel: Les pensions des anciens combattants ont été gelées en 1959. Et malgré la récente condamnation du Conseil d'Etat, les gouvernements successifs français continuent de faire la sourde oreille.. Mais à Cannes l'histoire immédiate n'est pas en reste, dès lors qu'il s'agit d'aborder, aussi bien la question de la torture sous la dictature argentine, du temps du sinistre Videla, vers la fin des années 70 ou lorsque les anglo-saxons se penchent sur l'actualité immédiate, celle du 11 septembre 2001...Sur tout cela, tout comme sur le reste, nous reviendrons en détail dans nos prochains envois. En attendant laissons le film de Rachid Bouchareb Indigènes, prendre racine, tel un plant que l'on porte en terre afin de le voir pousser et grandir, tout en l'entourant d'espoir, d'amour et de générosité. Autant d'ingrédients nécessaires à l'être pour exister par lui-même et avec les autres.