«Chants d'amour et d'ivresse» est l'oeuvre magistrale dont le public s'est énivré jeudi soir. Dans la continuité des Rencontres d'Ibn Rochd, la salle Ibn Zeydoun a abrité jeudi dernier un concert du respectueux Abed Azrié avec son récital «Chants d'amour et d'ivresse». Né à Alep (Syrie), Abed Azrié a été placé au confluent de nombreuses cultures musicales. Entre Orient et Occident, Alep est la porte du Levant et de la Mésopotamie, berceau des cultures méditerranéennes auprès de laquelle veillent les influences grecque, turque, iranienne et arménienne. Adolescent, entre les villes d'Alep et de Beyrouth, le compositeur rencontre les musiques occidentales et étudie la littérature à l'université libanaise. Au cours d'un voyage, il découvre Paris. Il y vit et travaille depuis 1967. Toujours attentif aux compositions les plus avant-gardistes, il a su ressusciter la légende sumérienne de Gilgamesh, revivifier les poètes soufis, interpréter et diffuser les plus grands poètes arabes, classiques et contemporains ainsi que les quatrains d'Omar Khayyam et les auteurs andalous. Aujourd'hui, il croit à l'art comme fervent humaniste. En «exhumant» à travers des textures musicales contemporaines les traditions orales et écrites, Abed Azrié se veut avant tout un homme de liberté. Il rejoint en ce sens la pensée et l'esprit d'ouverture, d'échange et de partage d'Ibn Rochd. En effet, ce concert magistral qu'il a donné jeudi dernier, aura été un beau cadeau de délectation où l'artiste nous servira des textes qui aspirent à la fois, à la tolérance, à la paix, à la croyance à l'amour et la célébration de la femme dans toute sa splendeur. On citera en exemple, le premier titre interprété intitulé Suerte, un texte andalou anonyme qui renvoie à cette époque ou plusieurs races, peuples, cultures, religions se sont rencontrés dans cette Andalousie du XIe siècle. Un bel exemple du vivre ensemble. Aussi, entouré de ses six musiciens dont un accordéoniste, un contrebassiste, un violoniste, deux percussionnistes et un pianiste, Abed Azrié qui nous invitera à nous «enivrer de la vie» en ayant pour religion «aimer l'autre» chantera de tout son soûl avec sa voix grave à faire tomber des murs, cette fraternité et cette paix qui réunit les êtres et les fait vivre en harmonie et en altérité, notamment un texte d'Ibn Arabi, ce plus grand théosophe de l'islam. Pour lui, Dieu se trouve dans toutes les religions et dans toute forme ; il aura été vers l'autre durant sa vie en parcourant la Méditerranée et le pays de Byzance. Il s'établit à Damas jusqu'à la fin de ses jours. Abed Azrié clôturera son récital par une surprise innovatrice, à savoir, en chantant un texte de poésie de l'Emir Abdelkader, tout en soulignant que son désir de venir en Algérie a duré 25 ans.