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«La banque mondiale a une littérature pessimiste»
Mohamed Achir, économiste, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 15 - 01 - 2023

L'Expression: Le dernier rapport de la Banque mondiale était globalement favorable à l'Algérie. Il prévoit une croissance et des perspectives positives pour l'économie nationale. Y a-t-il, selon vous, des aspects de l'économie algérienne que les rapports de la BM ont tendance à négliger?
Mohamed Achir: D'abord, je tiens à signaler que je n'ai pas lu le rapport auquel vous faites allusion dans le détail. Mais j'ai déjà eu à consulter l'ensemble de la littérature de la Banque mondiale concernant l'Algérie. Généralement, ils suivent tous la même architecture. Ce que j'ai lu de la synthèse de ce rapport est, disons-le, suffisant pour répondre à votre question, puisque celle-ci porte sur l'ensemble de la production de la BM.
En tout cas, le dernier rapport salue d'une part des progressions assez intéressantes, notamment les excédents commerciales dans la balance des paiements.
D'autre part, les rédacteurs du rapport ont sévèrement critiqué les choix financiers à l'interne. C'est- à- dire la dette publique qui dépasse les 60% du PIB, le déficit budgétaire qui avoisine, les 23% du PIB. Grosso modo, lorsque la Banque mondiale analyse la situation économique du pays, elle salue les avancées en matière de stabilisation des comptes extérieurs, mais pose un regard critique sur les déficits des comptes intérieurs. On retient également dans cette analyse une tendance à mettre les hydrocarbures comme seule locomotive de la croissance économique du pays. Mais elle apprécie une stabilité de l'inflation et prévoit une croissance plutôt modérée, en tout cas, en deçà des prévisions du gouvernement. La loi de finances 2023 table sur une croissance de 4,1%, mais la Banque mondiale s'attend à un taux de 2,3%.
Cela pour les deux derniers rapports. Mais n'oublions pas que la BM nous a habitués à une littérature très pessimiste, concernant l'avenir économique du pays. Le document 2021 ne laissait aucune lueur d'espoir à l'économie nationale. les deux institutions de Bretton Woods, parlaient de cataclysme! Mais la réalité du terrain a démontré des résultats contraires aux prévisions catastrophistes de la BM, même si durant l'année en question, les prix des hydrocarbures n'étaient pas au niveau de 2022. Cela dit, et pour répondre à votre question, les rapports de la BM et du FMI ont toujours privilégié une approche très sceptique dans leurs analyses de la situation économique de l'Algérie. Et à chaque fois, les performances de l'économie nationale démentent leurs prévisions.
Il semble donc évident que le pays vit une dynamique économique que la Banque mondiale et le FMI ont tendance à ignorer volontairement... Ceci impacte-t-il les décisions d'investisseurs étrangers?
Les institutions financières internationales ont toujours lésé l'Algérie, notamment dans le Dowing Business qui est la «bible» des investisseurs, puisqu'il établit un classement du climat des affaires dans les pays du monde.
Dans le dernier rapport, réalisé en 2020, l'Algérie est classée 157e. Il faut savoir, à ce propos, qu'un énorme scandale a levé le voile sur une pratique frauduleuse autour de ce Dowing Business.
Des critères étaient mis pour privilégier des pays au détriment d'autres. Il y a eu carrément des achats de positions! Depuis ce scandale, le classement a été abandonné. Mais durant des décennies, l'Algérie a été l'une des principales victimes de cette fraude à l'échelle planétaire. Vous imaginez que cette corruption, au plus haut niveau d'institutions internationales, a fait perdre à l'Algérie d'innombrables opportunités d'investissements étrangers.
Au-delà de cet exemple révélateur des visées de la BM, j'ai constaté à la lecture de nombreux rapports de cette institution financière mondiale une nette tendance à donner le beau rôle au Maroc, malgré le fait que ce pays se trouve, depuis des années, dans une situation économique, financière et sociale catastrophique.
Les prévisions optimistes ne se sont jamais réalisées, mais rapport après rapport, le même lexique est utilisé concernant le Maroc. Le scénario s'inverse lorsque les rapports de la BM et du FMI évoquent le cas de l'Algérie. Il est évident qu'en parcourant ces documents, les investisseurs étrangers hésitent beaucoup pour s'installer en Algérie, malgré les avantages que leur offre le climat réel des affaires. Cela pour dire que les institution de Bretton Woods ont une qualité internationale, mais cela ne garantit pas leur neutralité. Les rapports sont orientés, selon une logique de lobyying international et des intérêts idéologiques.
Quels sont les points forts de l'Algérie que le FMI et la BM ont tendance à ne pas évoquer dans leurs rapports et qui font la différence sur le terrain?
L'un des points forts de l'économie algérienne est dans sa capacité de résilience financière. N'oublions pas que le pays a résisté un très grand choc, celui de la Covid-19, doublé d'un autre choc, en rapport avec une chute libre des prix du pétrole. Cette résilience financière existe bel et bien et elle a fait ses preuves sur le terrain, grâce à des réserves de change, garantissant un taux appréciable de couverture des importations. Il y a aussi une pro-réactivité judicieuse des pouvoirs publics qui ont efficacement agi sur le niveau des importations. Ce qui a permis un rééquilibrage des comptes extérieurs.
Le second point fort, tient au fait que le pays n'a pas de dette extérieure. L'endettement interne est très largement gérable. De plus, notre économie est à très fort potentiel de ressources. C'est un aspect important dans cette résilience. Il y a également le secteur de l'agriculture qui connaît une croissance très appréciable, au coeur de la période de Covid-19. En 2020 et 2022, on a constaté une remarquable croissance de l'agriculture nationale. Cette résilience s'exprime aussi dans la remontée des filières dans certains secteurs industriels, dont la métallurgie et le bâtiment. Ces deux secteurs exportent déjà. Il y a enfin l'aspect développement humain et social. L'Algérie est première en Afrique et parmi les pays les plus avancés dans le monde en matière de sécurité alimentaire, selon un rapport de la FAO. Le pays occupe le même classement en terme d'Indice de développement humain établi par le Pnud. Ce sont là autant d'éléments qui concourent à la résilience de l'économie algérienne.
Il faut préciser que le PIB algérien est qualitatif. Le dernier rapport de la Banque d'Algérie l'atteste. La part des hydrocarbures dans le PIB n'est que de 20%. Les 80% sont le fait du secteur hors hydrocarbures. C'est un élément très important qu'il faut prendre en considération, même s'il est vrai qu'en 2022, la présence des hydrocarbures dans le PIB va progresser en raison de la valorisation des prix du pétrole. Cela n'empêche pas de constater que la diversification de l'économie commence à devenir visible. Tous ces aspects sont tout simplement ignorés dans les rapports du FMI et de la BM.
Au plan de la création d'entreprise en Algérie par des acteurs locaux, quelle appréciation faites-vous de la dynamique?
À ce niveau effectivement, on constate un élément de faiblesse. Il faut savoir que ce dont a besoin le pays, c'est d'une croissance intensive. Celle-ci est tirée des facteurs de production. Mais il faut reconnaître que tout ce qui se fait en terme de croissance économique est principalement adossé à la commande publique, les dépenses publiques, la subvention des énergies, la protection sociale... etc. En clair, c'est une politique volontariste de l'Etat qui fait office de locomotive de la croissance. Pour donner de la visibilité à l'économie, il faut parvenir à cette croissance intensive que j'ai cité plus haut. Cela passe par une main-d'oeuvre formée, une maîtrise des technologies, de l'innovation, la recherche et développement. Bref, une industrie 4.0 du management moderne, du marketing. Il faut donc savoir retenir nos talents. Je constate au passage que le pays prend cette direction. On est en train d'améliorer l'environnement des affaires.
Les autorités chargées de la promotion des investissements revendiquent déjà plusieurs milliers de demandes d'investissement depuis la mise en place des guichets uniques, en novembre dernier. Quel regard portez-vous sur cette annonce?
Dans ce chiffre, il faut voir la part de la croissance intensive. Celle-ci ne se mesure pas par rapport au capital fixe. C'est surtout la croissance de richesse au sein de l'entreprise, que celle-ci soit versée dans la production, le service et les nouvelles technologies. Il est important de massifier la création d'entreprises.
Il nous en faut un maximum. Mais il est essentiel aussi d'attirer des investissements directs étrangers. Ceci garantit à l'Algérie une intégration dans la chaîne de compétitivité internationale. Cela génère une croissance auto-entretenue, robuste et intensive. Les IDE sont très importants pour créer un tissu productif compétitif.
En matière d'IDE justement, l'Algérie est assez mal lotie. Au-delà du scandale du Dowing Business, quelle devrait être la valeur de ces IDE pour permettre un décollage de l'économie à l'international?
En moyenne, l'Algérie attire 1,3 milliard de dollars d'IDE annuellement. Or, le pays dispose d'assez d'atouts pour absorber jusqu'à 5 milliards de dollars. Au-delà du Dowing Business, comme vous l'avez signalé, après l'adoption du nouveau Code des investissements, une réforme de la loi sur la monnaie et le crédit est nécessaire.
Ladite loi a été adoptée en Conseil des ministres. Sa promulgation décrispera le climat des affaires. Ces deux lois tombent à pic, si l'on tient compte de la situation géopolitique qui arrange l'économie algérienne, en raison de la flambée des prix de l'énergie. La compétitivité est garantie, la législation s'est mise à jour. Il n'y a pas de raison de ne pas enregistrer une forte hausse des IDE en 2023.


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