Les familles parlent de «pratiques scandaleuses» et de «politique du deux poids, deux mesures». Trop d'anomalies entourent les procédures d'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, pense Ali Mrabet, le président de l'association Somoud des disparus. D'après lui, il n'est pas normal de faire courir des familles afin d'obtenir un acte de décès pour une personne enlevée par des terroristes, tandis qu'une autre, vue, enlevée par des agents de l'Etat, est reconnue sans trop de cassement de tête, comme étant victime de la tragédie nationale. Le premier cas «s'avère être un véritable parcours du combattant afin de faire valoir les droits des familles», témoigne notre interlocuteur, contacté par nos soins. Il s'interroge dans la foulée sur le fait que la machine de procédures soit accélérée pour les victimes qui s'insèrent dans la deuxième hypothèse, c'est-à-dire les personnes enlevées par des agents de l'Etat. Plus étonnant encore, notre interlocuteur nous informe que des familles des victimes sont allées à la recherche des actes de décès, mais sont accueillies par un «manque d'informations» du fait qu'elles ont déclaré que la personne a été enlevée par des terroristes. «Quant à celles ayant déclaré que les leurs ont été enlevés par des agents de l'Etat, celles-ci ont été facilement jugées». Ali Mrabet qualifie cette procédure de «deux poids deux mesures à dénoncer et à condamner». D'autres personnes, à en croire notre interlocuteur, sont déclarées aussi disparues n'ayant pas donné signe de vie ou encore non-victimes «pour manque d'informations et/ou non-présence lors de la scène de l'enlèvement». Alors que toutes ces pratiques «floues» ont suscité, semble-t-il, un vent de dénonciation auprès des familles victimes de la tragédie nationale. Ce parcours du combattant pour l'obtention d'un jugement de décès n'est-il pas l'un des blocages dont parlent certaines parties intéressées par le projet de la réconciliation? C'est une question qui mérite d'être posée que ces mêmes parties ne cessent d'évaluer ce «chantier de paix» bien avant la fin du délai de grâce attribué aux «égarés». Quoi qu'il en soit, les estimations seront faites officiellement la fin du mois en cours par le ministre de la Justice, selon une source bien informée. Pour Nacéra Dutour de SOS Disparus, «les faits sont aussi scandaleux que ça». Explication : les procédures d'application de la charte sont à l'origine même de désaccords familiaux. C'est-à-dire, «il existe des mères qui ont porté plainte contre des belles filles pour avoir réclamé le jugement de décès pour leurs fils». Pis encore d'après la présidente de l'association, des personnes sont déclarées aussi décédées lors d'un accrochage. C'est le cas, à titre indicatif, du père de la famille Smahi qui a été, selon notre interlocutrice, enlevé par des policiers. Ces derniers, au nombre de quatre ont reconnu les faits et ont été condamnés à 7 ans de prison, tandis que le père de la famille Smahi est déclaré «mort lors d'un accrochage». Nacéra Dutour dénonce aussi le fait que des éléments de la Gendarmerie nationale se rendent auprès des familles concernées afin «de leur proposer des jugements de décès ou de disparition». L'on s'interroge aussi si ce ne sont pas ces pratiques mêmes qui sont considérées, sous un autre qualificatif, de blocages freinant l'application de la charte. Sans verser dans le langage des hypothèses et des éventualités, le ministre de la Justice est attendu à la fin du mois en cours à une tribune officielle afin de faire son évaluation et le parcours de la charte.